Vers une remise en cause de l’exclusion de la garantie de l’AGS pour les créances résultant de la rupture du contrat de travail à l’initiative du salarié


Chronique

L’Association pour la gestion du régime d’assurance des créances des salariés (AGS) occupe un rôle central dans le contexte spécifique des entreprises en difficulté en permettant l’indemnisation des sommes dues aux salariés dans la limite des plafonds applicables.

Une autre limite, temporelle cette fois, circonscrit la prise en charge par l’AGS des créances nées de la rupture du contrat de travail intervenue postérieurement au jugement d’ouverture de la procédure collective.

En effet, à compter de cette date, la garantie de l’AGS ne couvre plus que les créances des salariés dont l’emploi a été supprimé au cours de l’une des périodes visées au 2° de l’article L.3253-8 du code du travail à l’exception de toute autre hypothèse :

“a) Pendant la période d’observation ;

b) Dans le mois suivant le jugement qui arrête le plan de sauvegarde, de redressement ou de cession ;

c) Dans les quinze jours, ou vingt et un jours lorsqu’un plan de sauvegarde de l’emploi est élaboré, suivant le jugement de liquidation ;

d) Pendant le maintien provisoire de l’activité autorisé par le jugement de liquidation judiciaire et dans les quinze jours, ou vingt et un jours lorsqu’un plan de sauvegarde de l’emploi est élaboré, suivant la fin de ce maintien de l’activité”.

Si législateur a pris soin d’insérer un critère caractéristique des procédures collectives pour borner l’intervention de l’AGS, l’article L.3253-8, 2° du code du travail ne comporte aucune limite tirée du motif ou du mode de rupture du contrat de travail.

On peut regretter l’absence de prise en compte des spécificités du droit du travail au profit d’un critère exclusivement temporel qui ne s’oppose pas à ce que la garantie de l’AGS puisse s’étendre au-delà des seules créances nées d’un licenciement pour motif économique prononcé après le jugement d’ouverture.

Or, l’insertion à l’article L.3253-8, 2° précité d’un critère lié au motif de la rupture du contrat de travail permettrait de justifier de façon objective l’introduction d’une limite au droit à bénéficier de la garantie de l’AGS au titre des créances résultant de la rupture du contrat de travail postérieurement à l’ouverture d’une procédure collective.

Par ailleurs, l’article L.3253-8,2° du code du travail ne distingue pas non plus selon l’initiateur de la rupture du contrat de travail et c’est précisément le critère de l’imputabilité que la Cour de cassation a choisi pour limiter le champ de la garantie.

Sa ligne directrice a été fixée dans un arrêt en date du 20 avril 2005 (1) portant sur la prise en charge par l’AGS d’une indemnité de départ à la retraite née postérieurement au jugement d’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire.

Par une interprétation de l’article L.143-11-1 al 2, 2° du code du travail (devenu L.3253-8, 2°) rendue possible dans le silence du texte, la Cour de cassation a  rejeté le pourvoi formé par le salarié au motif que l’intervention de l’Association de garantie des salaires se limitait aux seuls contrats de travail rompus par l’administrateur, l’employeur ou le liquidateur judiciaire.

Quelques années plus tard la chambre sociale a confirmé sa position en excluant également de la garantie de l’AGS les créances résultant d’une résiliation judiciaire (2) du contrat de travail et d’une prise d’acte (3) intervenue pendant la période d’observation.

L’interprétation de l’article L.3253-8 2° par la Cour de cassation peut s’expliquer par le rôle de l’AGS qui est de garantir les créances nées en cours de procédure pour les besoins de la poursuite de l’activité de l’entreprise, du maintien de l’emploi et de l’apurement du passif (4).

Ce faisant, la Cour de cassation répond à la finalité de l’AGS dans une logique de préservation des droits des salariés dont l’emploi a été supprimé pour motif économique.

Suivant cette logique, il est possible de convenir qu’une rupture du contrat de travail qui interviendrait à l’initiative d’un salarié au cours de la procédure collective ne répondrait pas véritablement aux besoins précités.

Toujours est-il que la position de la Cour de cassation tend à considérer que l’auteur de la rupture du contrat de travail importe plus que l’imputabilité de la rupture, y  compris en cas de manquements suffisamment graves empêchant la poursuite du contrat de travail.

Si l’on comprend ce qui a motivé l’interprétation par la Cour de cassation des dispositions de l’article L.3253-8, 2° du code du travail compte tenu du contexte    particulier des procédures collectives, le critère tiré de l’auteur de la rupture ne semble pas satisfaisant.

Il est effectivement singulier que des ruptures du contrat de travail produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse (ou nul) ne procurent pas les mêmes droits aux salariés créanciers en considération de l’auteur de la rupture.

La reprise d’une partie des prérogatives de l’employeur par l’administrateur ou le liquidateur judiciaire ne convainc pas et ne nous semble pas de nature à objectivement justifier, à elle-seule, une différence de traitement entre des salariés d’une même société placée en procédure d’insolvabilité.

Toutefois et dans le silence de l’article L.3253-8 2° du code du travail, la Cour de cassation n’avait probablement pas d’autres choix que d’interpréter ce texte à la lumière de son objectif pour consolider l’existence du régime de la garantie des salaires et préserver la santé financière de l’institution de garantie.

Cela apparait d’autant plus nécessaire que les justiciables et leurs conseils n’hésitent désormais plus à mobiliser le droit européen à travers les directives et la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne, ce qui pourrait conduire à affaiblir encore un peu plus l’institution de garantie.

C’est en ce sens que la cour d’appel de Grenoble (5) a considéré, par une appréciation souveraine, que l’article L.3253-8, 2° du code du travail devait être interprété à la lumière de la directive européenne 2008/94/CE et en conclure que les créances résultant d’une prise d’acte produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse intervenue pendant la période d’observation devaient bénéficier de la garantie AGS.

Dans une logique plus précautionneuse, la cour d’appel d’Aix-en-Provence a interrogé la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) avant de statuer en défaveur de l’AGS-CGEA qui sollicitait l’exclusion de sa garantie pour des créances dues au titre de la prise d’acte du contrat de travail de plusieurs salariés.

L’une des quatre questions préjudicielles formulée portait sur le point de savoir si l’interprétation de la directive 2008/94/CE permettait d’exclure la prise en charge par l’institution de garantie des créances indemnitaires d’un salarié ayant pris acte de la rupture de son contrat de travail après l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité.

Prenant le contre-pied de la jurisprudence de la Cour de cassation, les juges européens (6) ont répondu en faveur de la prise en charge par l’institution de garantie des créances résultant d’une prise d’acte du contrat de travail en raison de manquements suffisamment graves de l’employeur empêchant la poursuite dudit contrat.

Cette interprétation a été rendue possible au moyen du considérant 3 de la directive 2008/94/CE qui rappelle que l’objectif social de la directive est “d’assurer un minimum de protection, en particulier pour garantir le paiement de leurs créances impayées”. Une telle rédaction plaide nécessairement en faveur d’une intervention élargie de l’institution de garantie.

Par ailleurs, la CJUE prend soin de préciser qu’il incombe aux Etats de déterminer les indemnités qui relèvent du champ d’application de la garantie sous réserve de respecter le principe d’égalité et de non-discrimination.

Le législateur a donc toute latitude pour insérer dans la loi un ou plusieurs critères pour limiter l’intervention de l’AGS au titre des créances résultant de la rupture des contrats de travail, à l’exception du critère tiré de l’auteur de la rupture du contrat de travail qui est susceptible d’instituer une différence de traitement entre des salariés se trouvant dans une situation comparable.

Il conviendra d’être attentif aux arrêts rendus par la cour d’appel d’Aix-en-Provence à la suite de la décision préjudicielle rendue par la Cour de Justice de l’Union Européenne le 22 février 2024.

Sur la base de ce récent précédent, la cour d’appel d’Aix-en-Provence (7) a eu l’occasion de se prononcer sur l’interprétation de l’article L.3253-8, 2° du code du travail dans un litige portant sur la prise en compte des sommes résultant d’une résiliation judiciaire du contrat de travail prononcée aux torts de l’ancien employeur.

La tâche a néanmoins été ardue.

Dans cette affaire, les juges du fond ont fait preuve d’ingénierie pour faire coïncider la date de la résiliation judiciaire du contrat de travail avec la période d’observation et conclure à la prise en charge par l’AGS des créances indemnitaires résultants de la résiliation judiciaire.

Au préalable, rappelons que la date d’effet de la résiliation ne peut être fixée au jour de la décision qui la prononce à la double condition que le contrat de travail n’ait pas été rompu avant cette date (8) et que le salarié soit toujours au service de son employeur (9).

A défaut, la résiliation judiciaire prend effet à la date à laquelle le salarié n’est plus au service de son employeur (10).

Dans cette espèce, l’AGS soutenait, à l’appui de sa contestation sur le quantum des rappels de salaires, que le salarié ne se tenait plus à la disposition de son ancien employeur, au motif qu’il bénéficiait d’allocations versées par France Travail [Pôle emploi à l’époque des faits].

Or, c’est précisément cet argument que la cour d’appel a mobilisé pour caractériser le fait que le salarié se trouvait en situation de recherche d’emploi et avait donc cessé de se tenir au service de son ancien employeur pendant la période d’observation.

La solution aurait pu basculer dans un sens opposé si l’AGS avait démontré que le salarié se tenait effectivement à la disposition de son ancien employeur après la période d’observation. La date de la résiliation judiciaire aurait alors coïncidé avec la date de la décision, proscrivant ainsi l’intervention de l’AGS.

Les derniers arrêts en date pourraient marquer la fin du critère tiré de l’imputabilité de la rupture du contrat de travail. Reste à savoir de quelle manière la Cour de cassation appréhendera l’interprétation de la directive 2008/ 94/ CE donnée par la CJUE et son applicabilité dans les relations entre les particuliers.

 

(1) Arrêt du 20 avril 2005, publié au bulletin.

(2) Arrêt du 14 octobre 2009, publié au bulletin.

(3) Arrêt du 20 décembre 2017, publié au bulletin.

(4) Arrêt du 10 juillet 2019, publié au bulletin.

(5) Cour d’appel de Grenoble, 20 février 2020, n° 17/04088.

(6) CJUE, 22 février 2024, aff. C-125/23, Association Unedic délégation AGS de Marseille contre V e.a.

(7) Cour d’appel d’Aix-en-Provence, 12 septembre 2024, n° 21/09985 (en pièce jointe).

(8) Arrêt du 3 juillet 2013.

(9) Arrêt du 22 juin 2022, publié au bulletin.

(10) Arrêt du 21 septembre 2017, publié au bulletin.

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Youness Es Sarraj, Epona Conseil
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Le 22 février dernier, la CJUE a rendu une décision importante en matière de créances salariales prises en charge par l’AGS dans le cadre d’une prise d’acte du salarié. Youness Es Sarraj, juriste conseil en droit social au sein du cabinet Epona Conseil, analyse un arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence du 12 septembre 2024 à la lumière du droit européen.
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