“Le nombre de visites de pré-reprise déléguées dans notre service est franchement négligeable”. Faisant écho au taux de délégation “inférieur à 1 %” des visites de reprise et pré-reprise rapporté par la direction générale du travail (DGT) dans son enquête sur l’activité des services de prévention et de santé au travail (SPST) en 2022 publiée en février 2024, la médecin du travail de l’association pour la santé au travail en Essonne (ASTE), Régine Denoncin, a témoigné le 6 juin lors du dernier congrès national de médecine et santé au travail (CNMST) à Montpellier, avoir “constaté malheureusement que très peu de médecins [de son service] ont décidé de déléguer les visites de pré-reprise à leurs collègues infirmières*”.
Souhaitant évaluer la faisabilité des nouvelles délégations offertes par le décret du 27 avril 2022 pris en application de la loi Santé au travail du 2 août 2021, l’ASTE a créé un groupe de travail qui a analysé “sur une période d’environ un an” les taux de délégation aux infirmières des “visites de pré-reprise, visites de reprise après un arrêt de travail, visites à la demande et visites suite à un congé maternité” (voir encadré). Et a interrogé les secrétaires et l’équipe médicale pour tenter de les comprendre.
À l’ASTE, les médecins du travail et les infirmières travaillent en binôme – “une infirmière pour un médecin“ – et “n’exercent pas forcément en même temps”. L’infirmière, si elle en ressent la nécessité, peut orienter durant son entretien vers la personne compétente. Des “staffs” (réunions médicales destinées à l’étude des dossiers de patients en cours de prise en charge) sur les “dossiers qui peuvent être un peu plus compliqués” sont régulièrement mis en place.
Au départ, Régine Denoncin était optimiste. “En toute logique, les visites de pré-reprise nous semblaient être les plus faciles à déléguer, ayant lieu pendant l’arrêt de travail et ne faisant pas l’objet d’une conclusion”. Avantages que n’ont pas les visites de reprise après un arrêt de travail dont “60 % font l’objet d’une préconisation médicale (restriction, aménagement, demande de temps partiel thérapeutique) uniquement de la prérogative du médecin du travail” et qui comportent “un trop grand risque de réorientation vers le médecin du travail à l’issue d’un entretien affilié” et donc “une mise en difficulté de l’équipe pour réorganiser une deuxième visite”.
C’était sans compter sur d’autres freins pratiques révélés par l’ensemble de l’équipe. D’abord, la disponibilité des infirmières. “Au niveau des convocations, à l’heure actuelle, les plannings infirmiers sont aussi complets que les plannings médecins, explique Régine Denoncin. Et initialement, il y a moins de créneaux dédiés aux visites urgentes sur le planning des infirmières que sur ceux des médecins”. Résultat : “Il n’y a pas beaucoup de place à dégager”. L’ASTE compte ainsi revoir le mode opératoire des convocations pour faciliter la libération de créneaux adaptés.
Mais même si des créneaux sont bloqués par le secrétariat pour pouvoir placer ces visites qui “s’imposent à [eux]”, ce dernier préfère se tourner vers le calendrier des médecins. “Le secrétariat juge ces dossiers complexes, relate la médecin du travail. Souvent, les visites de pré-reprise sont demandées de façon tardive avec une échéance de date de visite de reprise très proche. Dans ce cas-là, les secrétaires vont préférer adresser ces visites aux médecins”. Derrière cette inclinaison se révèle aussi un besoin de “changement d’habitude et de réflexes à acquérir”, comme le concède Régine Denoncin qui rapporte que les secrétaires “n’ont pas pris l’habitude de penser aux infirmières pour ce type de visite”.
De même, les salariés auraient “un peu de réticence à avoir cette visite avec une infirmière”, selon le secrétariat. “Des réticences qui devraient être facilement levées, estime toutefois la médecin du travail. On sait que nos collègues infirmières effectuent un travail de qualité et même des entretiens de qualité. On a rencontré la même réticence lorsqu’elles sont arrivées dans les services de santé au travail. C’est quelque chose que l’on peut certainement gommer”.
“On ne l’a jamais fait, on ne sait pas faire, on ne peut pas faire”
Encore faut-il convaincre les infirmières, elles-mêmes. Leur première réflexion a été de dire : “On ne l’a jamais fait, on ne sait pas faire, on ne peut pas faire”, relate Régine Denoncin. L’ASTE a ainsi organisé des “doublons” pour que les infirmières assistent à des visites de pré-reprise avec le médecin, a mis en place une formation externe, une sensibilisation en interne “pour les informer sur les différentes visites existantes de maintien dans l’emploi” et a réalisé des “trames de recueil validées en commission médico-technique (CMT)” pour connaître les informations à collecter auprès du salarié.
Du côté des médecins du travail, ces visites de pré-reprise sont aussi “jugées complexes parce qu’elles nécessitent parfois un examen clinique de la part du médecin que ne peuvent pas faire nos collègues infirmières”, poursuit la médecin du travail. “Et il y a toujours cette pression, cette nécessité de gérer les visites réglementaires en retard, que l’on retrouve chez tout le monde (médecins, infirmiers, secrétariat)”, souffle-t-elle.
Ainsi, Régine Denoncin ne perçoit pas encore de “gain de temps médical” grâce à la délégation des visites de pré-reprise aux infirmières. Même en mettant de l’huile dans les rouages : “[Ces visites] vont de toute façon nécessiter un échange avec le médecin, ou une supervision de dossier, pour décider des actions qui vont être mises en place”. Elle appelle toutefois de ses vœux “un travail sur la visite de pré-reprise pour qu’elle puisse avoir lieu de façon plus précoce et être menées plus sereinement par les collègues infirmières“. Car aujourd’hui, la médecin “n’a pas de solution sur la précocité de la visite de pré-reprise”. Ce qui n’éteint pas son optimisme. “Mais je suis confiante, conclut-elle. Il y a quelques années, on se battait pour avoir des visites de pré-reprise. Maintenant, on réfléchit seulement à les avoir plus tôt”.
“Les délégations de la visite maternité sont réussies”
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Si les délégations des visites de reprise et de pré-reprise s’avèrent difficiles, pas de souci majeur pour celle des visites après un congé maternité. “C’est une délégation assez facilement acceptée par nos collègues médecins et infirmières, relate Régine Denoncin. À l’heure actuelle, 60 % de ces visites de reprise maternité ont été effectuées par nos collègues infirmières avec un faible taux de réorientation vers le médecin du travail. C’est une visite pour laquelle nos infirmières se sont rapidement senties à l’aise dans la prise en charge”. Pour autant, même si “ces délégations sont réussies”, pas de “gain de temps médical” là encore, puisque le service ne compte ” environ que 30 à 40 visites de reprise maternité par médecin par an”. Par ailleurs, la médecin du travail explore la faisabilité des délégations des visites à la demande des salariés, notamment celles confidentielles (lorsque le salarié ne souhaite pas faire part de sa démarche à son employeur). Ces dernières “ne font pas automatiquement l’objet d’une conclusion, d’une remise d’attestation ou d’une fiche d’aptitude”. “Ces visites sont souvent le cas d’une personne qui a un problème au travail, de souffrance au travail ou un problème de conflit”, témoigne la médecin. C’est pourquoi, l’ASTE réfléchit à “la formation de [ses] collègues infirmières sur la prise en charge du mal-être au travail” et compte réaliser “une trame d’entretien en cas de mal-être au travail pour cadrer et rassurer”. Une piste prometteuse pour apporter un service supplémentaire au salarié. “L’approche de nos collègues infirmières est complètement différente de la nôtre, se réjouit la médecin du travail. Elles ont une façon différente d’écouter le salarié qui pourrait être tout à fait complémentaire pour lui”. D’ailleurs, les nouvelles délégations aux infirmières apportent “une optimisation de la prise en charge par le contrôle de la validité de la fiche d’entreprise, la mise en place des études de poste, par l’orientation éventuelle vers l’assistante sociale, la cellule PDP, etc.”, égrène la médecin. “Tout ça, ce sont des choses que l’infirmière peut facilement mettre en place et qui nous soulage”. Autre avantage soulevé par Régine Denoncin : sortir du tunnel. “Étudier un dossier à tête reposée en discutant avec notre collègue, ou, être en face à face direct avec le salarié et devoir donner une conclusion à notre entretien, c’est une charge mentale complètement différente”, témoigne-t-elle, devant le parterre d’infirmiers et infirmières. |
* Dans son propos liminaire, Régine Denoncin a précisé que son service comptait “uniquement des infirmières”. Elle a demandé dans un sourire aux “messieurs les infirmiers” de l’assistance de ne pas “se formaliser si [elle] les évoque uniquement au féminin”. Nous reprenons à notre compte cette mise en garde pour le lecteur·rice.
Cet article provient du site Editions Législatives - ActuEL RH