Reproches faits au salarié par écrit : quand s’agit-il d’une sanction disciplinaire ?


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Les critères de définition d’une sanction disciplinaire

Le Code du travail qualifie de sanction disciplinaire toute mesure, autre que des observations verbales, prise par l’employeur à la suite d’un agissement du salarié considéré par lui comme fautif, et de nature à affecter immédiatement ou non sa présence dans l’entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération.

Ainsi, parmi les éléments constitutifs de cette qualification on peut relever, d’une part, le fait que l’agissement du salarié soit considéré comme fautif par l’employeur (ce qui n’est pas le cas, par exemple, pour des remarques à visée pédagogique) et, d’autre part, la possibilité que la mesure prise par l’employeur ait des conséquences sur la carrière de l’intéressé, qu’elles soient immédiates, futures, ou même simplement potentielles (“de nature”).

La jurisprudence retient parfois également le critère de la volonté de l’employeur de sanctionner le salarié (arrêt du 20 septembre 2023). 

Le règlement intérieur, obligatoire dans les entreprises ou établissements employant au moins 50 salariés, doit déterminer la nature et l’échelle des différentes sanctions qui peuvent être prononcées à l’égard des salariés. Il prévoit le plus souvent notamment la possibilité de prononcer des avertissements ou blâmes.

La qualification de sanction disciplinaire ne présente pas de difficulté lorsque l’écrit adressé au salarié est nommé “avertissement” ou “blâme”. Mais souvent, des litiges portés en justice concernent des écrits dans lesquels l’employeur adresse au salarié des remarques ou reproches sur l’exécution de son travail ou son comportement, qui ne sont pas explicitement identifiés comme une sanction disciplinaire ou un avertissement.

L’employeur peut avoir l’impression qu’un simple courriel, ou même un SMS, ne peut pas constituer une sanction et que celle-ci devrait forcément être notifiée par courrier recommandé ou une lettre remise en main propre, mais ce n’est pas le cas. Selon la loi, seules les observations orales ne peuvent pas être qualifiées de sanctions.

Une jurisprudence nourrie mais pas toujours facile à suivre

L’analyse des arrêts de la chambre sociale de la Cour de cassation de ces dernières années fournit de nombreuses illustrations de qualification – ou non –  de sanction à propos de tels écrits. Elle admet souvent l’existence d’une sanction lorsque l’employeur adresse par écrit des reproches au salarié, l’invitant ou le mettant en demeure de modifier son comportement (notamment arrêt du 26 mai 2010 ; arrêt du 3 février 2017 ; arrêt du 29 mai 2024). Cependant, elle retient parfois qu’une mise en garde demandant au salarié de modifier son comportement ne constitue qu’un rappel à l’ordre non constitutif d’une sanction (arrêt du 19 septembre 2018 ; arrêt du 20 mars 2024). 

Il n’est pas aisé d’identifier dans la jurisprudence de la Cour de cassation des critères systématiques permettant aux employeurs et aux juges du fond d’opérer une distinction claire entre les reproches écrits qualifiables de sanctions et les autres : tantôt elle met en avant, pour retenir la qualification de sanction, l’existence de griefs précis (arrêt du 2 février 2022) ou encore certaines mentions de nature à entraîner des conséquences sur la carrière du salarié (arrêt du 3 février 2017 tantôt elle souligne l’absence de volonté de sanctionner pour exclure cette qualification (arrêt du 12 novembre 2015).

La Cour de cassation ne s’en remet pourtant pas, sur cette question, au pouvoir souverain des juges du fond. L’analyse de ces arrêts révèle un contrôle de la qualification des faits opérée par les juges du fond.

L’enjeu de la qualification de sanction disciplinaire

Faire qualifier des reproches écrits de sanction disciplinaire constitue généralement un argument de contestation en justice d’une sanction plus grave notifiée par la suite au salarié, le plus souvent un licenciement.

En effet, selon une jurisprudence constante, une même faute ne peut pas justifier deux mesures disciplinaires successives (notamment arrêt du 21 mars 1991 ; arrêt du 13 novembre 2001). Est ainsi sans cause réelle et sérieuse le licenciement motivé par les mêmes faits qu’un avertissement antérieur (arrêt du 13 juillet 1989 ; arrêt du 13 novembre 2001). Par ailleurs, l’employeur ne peut pas annuler unilatéralement une sanction déjà notifiée afin d’en prononcer une nouvelle pour les mêmes faits (arrêt du 14 novembre 2013). 

Si les griefs motivant une sanction ont déjà été sanctionnés, la deuxième sanction est nulle car non justifiée, et, si cette sanction est un licenciement pour faute, ce dernier est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Or, les remarques écrites, surtout par courriel, constituent un mode de communication professionnelle quotidien, et il est courant qu’une décision de sanction de faits fautifs soit précédée de remarques par courriel du supérieur hiérarchique ou de l’employeur, destinées à améliorer l’exécution du travail du salarié, à remédier à des erreurs ou à modifier son comportement.

De tels écrits, envoyés dans le cadre d’échanges professionnels et sans intention de sanctionner, peuvent fragiliser un dossier de licenciement.

Comment limiter le risque contentieux ?

La lecture de la jurisprudence de la Cour de cassation de ces dernières années incite à la plus grande prudence. En cas de doute, on peut délivrer aux employeurs les recommandations suivantes :

  • en présence de fautes d’une certaine gravité que l’employeur souhaite sanctionner par une mesure plus sévère qu’un avertissement, il est préférable qu’il s’en tienne au respect de la procédure disciplinaire en le convoquant à un entretien préalable et en lui notifiant la sanction par lettre recommandée ou lettre remise en main propre contre décharge, et qu’il évite d’adresser tout autre écrit  ;
  • pour des fautes moins graves, si l’employeur juge utile de formuler des reproches écrits ou une mise en garde, afin de permettre au salarié de modifier son comportement, mais que celui-ci se poursuit ou est réitéré, la notification d’une sanction plus grave doit impérativement faire état de ces griefs nouveaux ou persistants dans la lettre notifiant cette sanction (mise à pied, rétrogradation, voire licenciement disciplinaire).

En effet, la poursuite par un salarié d’un comportement fautif autorise l’employeur à se prévaloir de faits similaires, y compris ceux ayant déjà été sanctionnés, pour motiver un licenciement pour faute grave (arrêt du 30 septembre 2004). Il en est de même lorsque les faits reprochés au salarié, déjà sanctionnés par un avertissement, ont persisté jusqu’à la mise en œuvre de la procédure de licenciement (arrêt du 27 octobre 1998).

Par ailleurs, des faits fautifs nouveaux, même de nature différente d’autres fautes antérieures, autorisent l’employeur à tenir compte de l’ensemble de ces fautes pour prononcer un licenciement (arrêt du 30 octobre 2007). 

Attention, aucune sanction antérieure de plus de trois ans à l’engagement de poursuites disciplinaires ne peut être invoquée pour justifier ou aggraver une nouvelle sanction (C. trav. art. L 1332-5).

Illustrations de jurisprudence

Nous vous proposons, sous forme de tableau, un panorama des diverses solutions rendues par la chambre sociale de la Cour de cassation à propos de la question de la qualification de sanction disciplinaire pour des écrits adressés au salarié.

 

REPROCHES SANCTION

Constitue une sanction disciplinaire la lettre par laquelle l’employeur adresse des reproches à une salariée, pour des faits qu’il estime fautifs (arrêt du 29 mai 2024).

OUI

Ayant constaté que l’employeur avait adressé des reproches à la salariée par une lettre dans laquelle il lui demandait de cesser de formuler des allégations outrancières envers sa hiérarchie et de travailler dans un esprit d’équipe conformément aux directives qui lui étaient données, la cour d’appel a pu en déduire que cette lettre de mise en garde par laquelle l’employeur lui reprochait, en les considérant comme fautifs, les faits ultérieurement invoqués à l’appui de la rupture, constituait une sanction disciplinaire (arrêt du 29 mai 2024).

OUI
RAPPEL À L’ORDRE SANCTION

Constitue tout au plus un rappel à l’ordre n’épuisant pas le pouvoir disciplinaire de l’employeur le courriel adressé au salarié par lequel l’employeur, qui n’a pris aucune mesure à l’encontre de ce dernier, se borne à lui demander de faire preuve de respect à son égard et de cesser d’être agressif, de faire preuve de jugements moraux, de colporter des rumeurs et autres dénigrements auprès de la clientèle et des autres salariés (arrêt du 20 mars 2024). 

NON

Une cour d’appel ne saurait juger le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse au motif que l’employeur a épuisé son pouvoir disciplinaire en rappelant à l’ordre le salarié en retenant que la remarque qui lui a été adressée par la direction prend la forme d’un rappel à l’ordre et traduit la volonté de l’employeur d’exercer, de façon comminatoire, ses pouvoirs d’instruction et de direction, alors qu’un rappel à l’ordre ne constitue pas une sanction disciplinaire (arrêt du 19 septembre 2018). 

NON
VOLONTÉ DE SANCTIONNER SANCTION

Une cour d’appel ne peut pas qualifier de sanction disciplinaire un courriel de reproches adressé au salarié par le président de la société alors qu’il résulte de ses constatations que le courriel litigieux ne traduisait pas la volonté du président de la société de sanctionner par lui-même les faits. En l’espèce, le courriel avait été envoyé en réponse à une mise en cause par le salarié de son supérieur hiérarchique et 24 heures avant l’engagement de la procédure de licenciement, et son auteur y indiquait notamment que le supérieur hiérarchique mis en cause (et en copie du courriel) “comprendra avant d’envisager la suite à donner à une situation devenue de plus en plus difficile et incohérente, [que le président ait] préféré remettre les choses d’aplomb” (arrêt du 29 septembre 2021). 

NON

Une cour d’appel ne peut pas décider que le compte rendu d’un “entretien de suivi” du salarié a valeur d’avertissement disciplinaire, alors qu’il résulte de ses constatations que l’auteur du compte rendu, supérieur hiérarchique de l’intéressé, avait expressément indiqué qu’il se limitait à demander une sanction, la décision relevant exclusivement de la direction et du responsable des ressources humaines (arrêt du 27 mai 2021). 

NON

Ayant relevé que le document rédigé par l’employeur n’était qu’un compte rendu d’un entretien au cours duquel il avait énuméré divers griefs et insuffisances qu’il imputait au salarié, sans traduire une volonté de sa part de les sanctionner, la cour d’appel a pu en déduire que ce document ne s’analysait pas en une mesure disciplinaire et n’avait donc pas eu pour effet d’épuiser le pouvoir disciplinaire de l’employeur (arrêt du 12 novembre 2015).

NON
DEMANDE D’EXPLICATIONS SANCTION
Une cour d’appel ne peut pas qualifier de sanction disciplinaire des documents intitulés “constats de faits” dans lesquels l’employeur décrit des faits reprochés et demande des explications, en retenant que ces “constats des faits” étaient de nature à affecter de manière non immédiate la présence du salarié dans l’entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération, mais sans rechercher, comme il le lui était demandé, si la procédure de demande d’explications écrites traduisait, avant même l’engagement de la procédure disciplinaire, la volonté de l’employeur de sanctionner le salarié (arrêt du 20 septembre 2023). NON

Ayant relevé que la lettre litigieuse avait été adressée par l’employeur à la suite de l’absence du salarié aux deux entretiens préalables auxquels il l’avait convoqué, la cour d’appel constate que ce document, s’il décrivait les reproches qu’il entendait sanctionner, précisait qu’il était destiné à recueillir les explications de l’intéressé “avant toute décision”, s’inscrivait dans le cadre d’une procédure disciplinaire et qu’il n’avait aucun caractère autonome qui permettrait de le regarder comme la sanction finale prise par l’employeur. Dès lors, la lettre litigieuse n’est pas une sanction (arrêt du 15 juin 2022). 

NON

La cour d’appel, ayant constaté que la demande d’explication écrite avait été faite avant l’engagement de la procédure disciplinaire et que les procès-verbaux consignant par écrit les questions de l’employeur et les réponses de la salariée, dont celle-ci ne soutenait pas qu’ils avaient été versés à son dossier individuel, avaient pour seule vocation d’étayer l’enquête interne diligentée, puis ayant retenu que la salariée avait manqué à ses obligations professionnelles, n’a fait qu’user des pouvoirs qu’elle tient de l’article L  1235-1 du Code du travail pour décider que le licenciement procédait d’une cause réelle et sérieuse (arrêt du 27 mai 2021).

NON
INJONCTION DE MODIFIER SON COMPORTEMENT SANCTION
La cour d’appel qui a retenu que la lettre de l’employeur ne contenait aucune injonction ni mise en garde a pu en déduire qu’elle ne s’analysait pas en une sanction, de sorte que l’employeur n’avait pas épuisé son pouvoir disciplinaire (arrêt du 2 février 2022). NON

Le compte rendu d’entretien annuel d’évaluation dans lequel l’employeur reproche au salarié son attitude dure et fermée aux changements, à l’origine d’une plainte de collaborateurs en souffrance, des dysfonctionnements graves liés à la sécurité électrique et le non-respect des normes réglementaires, et l‘invite de manière impérative et comminatoire et sans délai à un changement complet et total, comporte des griefs précis sanctionnant un comportement considéré comme fautif et constitue donc un avertissement (arrêt du 2 février 2022). 

OUI

Une lettre adressée au salarié rappelant la présence non autorisée et fautive à plusieurs reprises du salarié dans le local électrique et l’invitant de manière impérative à respecter les règles régissant l’accès à un tel local, à laquelle l’employeur se référait dans l’avertissement ultérieurement prononcé, stigmatise le comportement du salarié considéré comme fautif et constitue une sanction disciplinaire (arrêt du 10 février 2021).

OUI

Un message électronique dans lequel l’employeur adressait divers reproches à la salariée et l’invitait de façon impérative à un changement radical, avec mise au point ultérieure au mois d’août, sanctionne un comportement fautif et constitue un avertissement, en sorte que les mêmes faits ne peuvent plus justifier le licenciement (arrêt du 26 mai 2010).

OUI
MENACE SUR LA CARRIÈRE SANCTION

Ayant constaté que l’employeur, après avoir modifié le mode d’indemnisation des frais de bouche de l’ensemble d’une catégorie de salariés au vu de comportements abusifs de certains d’entre eux, avait adressé, notamment au salarié, une lettre lui indiquant que son attitude avait largement entamé la confiance qu’il lui portait, la cour d’appel en a exactement déduit  que cette lettre constituait une sanction disciplinaire, dès lors qu’il résultait de cette dernière indication qu’elle était de nature à affecter la carrière du salarié (arrêt du 3 février 2017). 

OUI

La lettre, adressée par l’employeur au salarié postérieurement à l’entretien préalable lui reprochant diverses erreurs et le mettant en demeure de faire un effort pour redresser la situation sous peine de déclassement ou de licenciement, sanctionne un comportement fautif et constitue un avertissement, en sorte que les mêmes faits ne peuvent plus justifier le licenciement (arrêt du 13 novembre 2001). 

OUI

 

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Signature: 
Aliya Benkhalifa
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Mise en garde, rappel à l’ordre, recadrage, avertissement, blâme. Autant de termes désignant un écrit par lequel l’employeur entend adresser des remarques ou reproches au salarié. Quels sont les critères permettant de qualifier un tel écrit de sanction ? Pense-bête afin de limiter les risques en cas de contentieux.
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Cet article provient du site Editions Législatives - ActuEL RH