Rémunération ? Organisation ? Qu’est-ce qui fait courir les intérimaires ?


Quelles sont les motivations des infirmiers qui choisissent l’intérim comme mode d’exercice ? A contrecourant des idées reçues, une enquête de l’Agence d’emploi des métiers de la santé démontre que les questions de planning et d’organisation supplantent celles relatives à la rémunération.

Pour les jeunes diplômés comme pour les infirmiers confirmés, les questions de planning sont au rang des premières motivations pour choisir l’intérim.

Dans un contexte de vagues de départ des professionnels hospitaliers que la pandémie de Covid-19 n’a fait qu’aggraver, l’Agence d’emploi des métiers de la santé (Agems, fondée en 2005 par des infirmiers) a proposé à ceux travaillant en intérim de présenter les motivations qui les ont poussés à choisir ce mode d’exercice. Les réponses tendent à démontrer que le niveau de rémunération n’en constitue pas la principale, allant ainsi à l’encontre de l’image de mercenariat qui collent à ces infirmiers intérimaires.

Planning et organisation comme préoccupations premières

Premier enseignement à tirer de cette enquête : contrairement aux idées reçues, ce n’est pas la rémunération qui occupe la première place dans les raisons qui poussent certains infirmiers à choisir l’intérim. Celle-ci n’arrive d’ailleurs qu’en troisième position. Ce sont en réalité les impératifs de planning qui apparaissent comme le premier facteur, suivi de l’organisation des services et des établissements. En tout, 88% des infirmiers interrogés auraient ainsi choisi l’intérim pour une raison autre que le niveau de salaire. Cette volonté de liberté de planning cache des réalités différentes, observe l’agence : organisation familiale, inscription à une formation continue (DU ou Master), alternance entre jour et nuit imposée et de moins en moins acceptée au fil des ans… Une problématique d’autant plus prégnante dans un contexte de pénurie de personnels, qui induit des tensions sur l’organisation des plannings. Les tensions RH actuelles complexifient fortement la conception des plannings d’équipes, et la sécurisation des journées de repos n’est souvent pas assurée, rendant impossible une organisation personnelle à moyen terme, explique ainsi l’AGEMS.

Dans les autres motifs, sont notamment mentionnées la relation avec l’encadrement, qui arrive en quatrième position, suivie de la charge de travail, l’ambiance dans l’équipe de soin (en septième position), ou encore les conséquences de la pandémie de Covid-19, citées en dernière position.

Le profil des répondants
Pour réaliser son enquête, l’AGEM a envoyé un questionnaire à l’ensemble des infirmiers en soins généraux de sa base et actifs en 2022.
•    Elle a reçu 1 143 réponses, dont 1 077 exploitables et validés.
•    La proportion hommes-femmes dans la population des intérimaires est identique à celle de l’ensemble des infirmiers exerçant en France, soit 13% et 87% respectivement.
•    L’âge moyen des répondants est de 32 ans, contre 41 ans pour les professionnels exerçant en milieu hospitaliers.
•    Leur ancienneté dans la profession est en moyenne de 5,5 ans.
•    À noter que 81% des intérimaires interrogés ont d’abord travaillé à temps plein dans un établissement de santé avant de choisir l’intérim.

L’intérim comme moyen “d’auto-formation” chez les jeunes diplômés

Même constat chez les plus jeunes. 19% des infirmiers sortant des Instituts de formation en soins infirmiers (IFSI) choisissent ainsi l’intérim comme mode d’exercice avec comme motivation principale la liberté de planning. Elle est suivie par l’envie de découvrir de nouveaux services avant de prendre un poste fixe. L’AGEMS en tire deux éléments d’analyse. D’une part, note-t-elle, l’intitulé de cette réponse présuppose la volonté de rejoindre ultérieurement une équipe de soins fixe et la mise en œuvre d’une stratégie “d’auto formation”, donc une vision à moyen terme du métier et des perspectives de carrière. Cet élément est à mettre en parallèle avec une des transformations induites par la réforme de 20091 sur les formations infirmières, et plus particulièrement sur l’organisation des stages. À une logique de stages courts mais nombreux, qui permettaient de découvrir une pluralité de service, a été substituée une logique de stages plus longs, mais nécessairement moins nombreux et axés autour de l’acquisition des 10 compétences infirmières2, relève ainsi l’agence. Cette motivation est également à mettre en parallèle avec la quatrième raison citée dans le choix de l’intérim, à savoir le besoin de continuer à se former. La question de la rémunération n’arrive, elle, qu’en troisième position.

La sécurisation des journées de repos n’est souvent pas assurée, rendant impossible une organisation personnelle à moyen terme.

Reprendre un poste fixe mais pas à n’importe quelle condition

Enfin, interrogés sur la possibilité de reprendre un poste fixe, 15% des répondants indiquent ne jamais vouloir reprendre un poste fixe, 27% probablement pas.  Les 58% restant se disent favorables à l’idée. 7% en sont ainsi certains, tandis que 16% estiment qu’ils le feront probablement ; 35% ont toutefois répondu qu’ils le feraient peut-être. Mais encore faut-il que certaines conditions soient réunies. La question de la rémunération n’intervient à nouveau ici qu’en troisième place. Interrogés sur les niveaux qui pourraient s’avérer suffisamment attractifs, les infirmiers répondent que 3 124 euros bruts par mois pour 35 heures (soit 2 405 euros à 2 593 euros nets en fonction des employeurs) représentent le salaire minimum acceptable. Un bon salaire est estimé à 3 488 euros, loin de l’image du mercenaire, insiste l’agence, un tel niveau équivalant à 1,1 fois le salaire moyen en France. Appliqués à l’ensemble des infirmiers, ces salaires ne feraient que placer la France dans la moyenne OCDE en matière de rémunération des infirmiers à l’hôpital par rapport au salaire moyen, précise-t-elle dans son rapport.

En réalité, ce sont là encore les questions de planning qui arrivent en tête des préoccupations. Les soignants interrogés placent à une large majorité la nécessité d’un planning adapté à la plupart de leurs contraintes, immédiatement suivi du suivi d’un ratio IDE / Patients qu’ils considèrent cohérent, relève en effet l’AGEMS. La nécessité d’établir un ratio entre patients et soignants n’est pas une revendication nouvelle, souvent portée par les syndicats infirmiers et l’Ordre infirmier auprès des pouvoirs publics, dans une préoccupation de sécurisation des soins donnés. Ces ratios, intimement liés à la qualité de vie au travail représentent de plus un élément d’attractivité majeur, tant il est lié à la qualité de vie au travail. Les autres conditions identifiées pour favoriser un retour en poste fixe vont des avantages sociaux (crèche, logement, CE…) en quatrième position, suivis d’un bon contact avec l’équipe de soins, à une spécialité intéressante/ un service de pointe, en passant par une perspective claire d’évolution de carrière. La sécurité de l’emploi, traditionnellement associée à la fonction publique hospitalière et au CDI, n’arrive, elle, qu’en onzième position.

1Loi de juillet 2009 suivant les Accords de Bologne, qui inscrit notamment la formation infirmière dans le cursus Licence-Master-Doctorat (LMD).

2Les dix compétences définies dans le référentiel depuis 2009.

Audrey ParvaisJournaliste audrey.parvais@gpsante.fr

Cet article provient du site Infirmiers.com