Que contient la notion de discrimination et quelles sont en conséquence les pratiques prohibées en entreprise au titre du principe de non-discrimination ?
Avant toute chose, il est essentiel de noter que si les notions de discrimination et d’inégalité de traitement sont souvent confondues car elles ont toutes deux pour but d’établir un traitement équitable entre les individus, elles répondent en fait à des définitions/enjeux bien différents. Les juges les distinguent d’ailleurs explicitement en énonçant dans un arrêt du 18 janvier 2006 qu'”une différence de traitement entre les salariés d’une même entreprise ne constitue pas en elle-même une discrimination illicite”.
Le principe général d’interdiction des discriminations et ses contours ont une base textuelle, l’article L.1132-1 du code du travail. En vertu de celui-ci, “aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de nomination ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, […] en raison de son origine, de son sexe, de ses mœurs, de son orientation sexuelle, de son identité de genre, de son âge, […]”. Le nombre de motifs pouvant donner lieu à discrimination et les circonstances visées sont donc très vastes et ne cessent de s’élargir puisque la qualité de lanceur d’alerte comme potentielle source de discrimination prohibée a été ajoutée à la liste par une loi du 21 mars 2022. D’autres textes comme les articles L.1132-2 et L.1132-3 du code du travail viennent par ailleurs compléter l’article L.1132-1 en interdisant d’autres mesures discriminatoires envers les salariés qui ont participé à une grève notamment.
Comment prouver une discrimination et quelles sont les sanctions encourues ?
C’est au salarié ou au candidat à un emploi, un stage ou une formation qui s’estime discriminé de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments laissant supposer l’existence d’une discrimination (article L.1134-1 du code du travail). Il lui revient d’apporter des éléments factuels/matériels, ce qui n’est pas toujours évident notamment lorsque la discrimination est indirecte, c’est-à-dire lorsqu’une disposition, un critère ou une pratique neutre en apparence entraîne un désavantage particulier pour certaines personnes. Ainsi, nombreuses sont les décisions dans lesquelles les éléments fournis sont jugés insuffisants (arrêt du 20 mai 2008 par exemple).
En revanche, lorsqu’elle est reconnue, la sanction en cas de discrimination est très protectrice pour le salarié : toute disposition ou tout acte pris à son égard en méconnaissance du principe de non-discrimination est considéré comme nul (article L.1132-4 du code du travail). Il en va de même pour tout acte juridique (contrat de travail ou accord collectif de travail) qui prévoit une différence de rémunération entre hommes et femmes (article L.3221-7 du code du travail).
Que recouvre de son côté la notion d’inégalité de traitement et par quoi se distingue-t-elle de la discrimination ?
A la différence de la discrimination, la notion d’inégalité de traitement n’est pas explicitement définie et cadrée dans le code du travail même si on peut la retrouver dans des articles épars concernant l’égalité de rémunération homme/femme (article L.3221-2) ou l’égalité entre salariés à temps complet et partiel (article L.3123-5). Le principe d’égalité de traitement découle en fait du principe général d’égalité porté par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 selon lequel “les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits” et qui précise que la loi doit être la même pour tous.
Dans ce contexte, ce sont les juges qui, par le biais d’une jurisprudence fournie, ont délimité la notion et l’ont appréhendée sous l’angle “à travail égal, salaire égal” depuis un arrêt du 29 octobre 1996. Dans cette décision, la Cour de cassation a précisé que la règle d’égalité de rémunération entre les hommes et les femmes est “une application de la règle plus générale à travail égal, salaire égal” et qu'”il s’en déduit que l’employeur est tenu d’assurer l’égalité de rémunération entre tous les salariés de l’un ou l’autre sexe, pour autant que les salariés en causes sont placés dans une situation identique”. Sachant que, depuis, la rémunération est entendue au sens large du terme, les titres restaurant étant considérés comme une rémunération soumise au principe “à travail égal, salaire égal” par exemple (arrêt du 20 février 2008).
Les régimes de preuve et les sanctions applicables sont-ils les mêmes que pour la discrimination ?
Côté preuve, les régimes sont en effet assez similaires puisque le juge considère qu’en application de l’article 1353 du code civil il appartient en premier lieu au salarié qui invoque une atteinte au principe “à travail égal, salaire égal” de lui soumettre des éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de rémunération, l’employeur pouvant ensuite rapporter la preuve d’éléments objectifs justifiant cette différence (arrêts du 28 septembre 2004).
Cependant, comme dit précédemment, les enjeux pour l’employeur en matière de sanction ne sont pas du tout les mêmes selon qu’il s’agisse d’une inégalité de traitement ou d’une discrimination. Dans le second cas, elle consiste en principe en un rappel de salaire correspondant à l’avantage ou la différence de rémunération non perçue. “L’atteinte au principe d’égalité de traitement peut être réparée par l’octroi, aux salariés concernés, de l’avantage dont ils ont été irrégulièrement privés”, dit la Cour de cassation (arrêt du 13 décembre 2017).
Ajoutons que si, dès lors qu’une discrimination est reconnue, l’employeur est nécessairement sanctionné, ce n’est pas le cas en présence d’une inégalité de traitement puisqu’il est admis par les juges qu’il puisse la justifier, notamment quand :
- la situation entre les salariés comparés n’est pas identique ;
Il a à ce titre été reconnu dans un arrêt du 5 mai 2021 que les salariés d’une équipe de suppléance ne se trouvent pas dans une situation identique à celle des salariés de l’équipe de semaine lorsque ceux-ci effectuent des heures de travail de nuit, de sorte que le principe d’égalité de traitement n’avait pas vocation à s’appliquer ;
- l’inégalité de traitement est fondée sur des éléments objectifs et pertinents, appréciés par juges de manière concrète pour chaque situation ;
Ils n’ont ainsi pas admis que le statut de représentants du personnel puisse constituer une raison objective et pertinente permettant de bénéficier d’un taux de remboursement des indemnités kilométriques plus favorable (arrêt du 6 juillet 2011) mais il est en revanche accepté qu’une durée plus longue de préavis soit prévue pour des cadres car elle peut être justifiée par le temps plus long qu’ils mettent, par comparaison avec des employés, pour mettre en ordre les missions dont ils ont la charge (arrêt du 6 juin 2012) ;
- l’inégalité de traitement est instaurée par un accord collectif. Elle bénéficie dans ce cas d’une présomption de légitimité et c’est au salarié de renverser cette présomption.
A l’occasion de plusieurs arrêts du 27 janvier 2015, la chambre sociale a en effet clairement énoncé que “les différences de traitement entre catégories professionnelles opérées par voie de conventions ou d’accords collectifs, négociés et signés par des organisations syndicales représentatives, investies de la défense des droits et intérêts des salariés et à l’habilitation desquelles ces derniers participent directement par leur vote, sont présumées justifiées de sorte qu’il appartient à celui qui les conteste de démontrer qu’elles sont étrangères à toute considération de nature professionnelle”.
Cet article provient du site Editions Législatives - ActuEL RH