Preuve, loyauté et vie privée : manifestations devant les juridictions sociales monégasques


Chronique

Le droit de la preuve a connu en France une évolution significative (Assemblée plénière, 22 décembre 2023), susceptible d’apparaitre également devant les juridictions monégasques et qui impose aux acteurs des entreprises, employeurs comme salariés, d’adapter leur comportement.

La position classique des juridictions françaises consistait jusqu’à présent à rejeter des débats tout élément de preuve collecté de manière déloyale. Ainsi, un salarié comme son employeur, ne pouvait valablement se prévaloir, de l’enregistrement illicite d’une conversation téléphonique ou encore d’un entretien préalable, dans le cadre d’un contentieux.

Ce principe de loyauté de la preuve, faisant obstacle à ce genre de pratiques, a pourtant reçu un coup d’arrêt à travers plusieurs décisions de la Haute juridiction française, rendues au visa de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme, convention également ratifiée et applicable en Principauté.

La série de décisions publiées par la Cour depuis cet arrêt interroge quant à la prudence qu’il conviendra d’adopter dans les rapports entre salariés et employeurs.  

A la lecture de ces arrêts, pourraient être jugés admissibles un enregistrement clandestin réalisé à l’occasion d’entretiens, ou encore des images de vidéosurveillances, alors même que le dispositif n’aurait pas été mis en place par l’employeur de manière licite… (arrêt du 14 février 2024)

Naturellement, cette nouvelle jurisprudence fixe des limites, parmi lesquelles la nécessité de démontrer que la production de l’élément est indispensable au succès de la demande et que l’atteinte que constitue cette production est proportionnée.

Ainsi, une décision récente a considéré irrecevable l’enregistrement illicite d’un délégué du personnel par un salarié, dès lors que les autres éléments versés au débat permettaient déjà de faire présumer l’existence du harcèlement qui était allégué (arrêt du 17 janvier 2024).

De la même manière, lorsqu’a été admise la production d’image de vidéosurveillances non valablement installées par l’employeur, la juridiction avait apprécié la proportionnalité de l’atteinte au regard des faits de l’espèce, en l’occurrence notamment en analysant le contexte de disparition de stocks, et le fait que des recherches infructueuses avaient été menées en amont (arrêt du 14 février 2024).

A ce jour, les décisions monégasques publiées ne révèlent pas de manifestations claires d’un renouvellement de ce “droit à la preuve”, à l’exception peut-être de deux décisions rendues par le Tribunal du travail.

La première en date du 6 février 2024 a admis la production par un salarié d’un document stratégique et confidentiel appartenant à la société, laquelle demandait à ce que cette pièce soit écartée des débats.

Le Tribunal rejette cette demande, considérant que cette pièce était pour le salarié, “nécessaire à la défense de ses intérêts”, critère proche, bien que paraissant moins exigeant que celui visé par la Cour de cassation, qui évoque une production “indispensable”.

A noter toutefois, dans cette décision, le Tribunal avait également motivé l’admission de la preuve par l’absence de démonstration par l’employeur, de ce que ce document lui appartenant avait été obtenu frauduleusement par le salarié.

La portée de cette décision doit donc être nuancée, dès lors qu’il n’était pas établi, comme c’était le cas dans les décisions françaises évoquées ci-dessus, que la preuve avait effectivement été acquise de manière déloyale.

Un second jugement en ce sens a été rendu le 27 septembre 2024 par le Tribunal du travail.

Dans cette décision, il s’agissait d’un licenciement pour motif économique, dont la validité était contestée par le salarié.

Alors que l’employeur ne justifiait aucunement de la situation économique de l’entreprise à la date du licenciement, le salarié produisait des rapports des commissaires aux comptes concernant les exercices précédant le licenciement.

La société demandait à ce que ces pièces soient écartées des débats, celles-ci ayant selon lui nécessairement été obtenues de manière frauduleuse, au regard de leur nature et des fonctions du salarié.

Comme dans sa décision rendue le 6 février 2024, la demande formulée par l’employeur est rejetée.

A nouveau, la juridiction retient en premier lieu leur admissibilité, à défaut de preuve par l’employeur de ce que le salarié l’aurait obtenu frauduleusement : “Si les circonstances dans lesquelles ces pièces ont été remises au salarié sont inconnues, il n’y a pas lieu de considérer que cela a été de manière illégale à défaut pour l’employeur d’en justifier”.

On observe d’ores et déjà par ces deux décisions, l’exigence dont fait preuve le Tribunal du travail dans la caractérisation du caractère frauduleux de l’obtention d’un élément de preuve.

Ensuite, la juridiction retient que ces pièces communiquées par le salarié “n’avaient d’ailleurs pas à être écartées des débats puisqu’elles sont nécessaires à sa défense pour démontrer la réalité de la situation économique de la société que l’employeur ne daigne même pas communiquer au Tribunal”.

On retrouve ainsi le critère de “nécessité”, au travers d’une motivation toutefois difficile à saisir.

En effet, alors que le Tribunal juge ces pièces nécessaires à la défense du salarié, il précise, une phrase plus tôt, que ces mêmes pièces “ne sont pas de nature à éclairer davantage le Tribunal sur la situation au moment du licenciement, puisqu’elles ne concernent que les exercices 2019 et 2020”. 

Il en ressort que l’appréciation de la valeur probante de la pièce par la juridiction (et en l’occurrence l’absence de valeur probante) :

  • intervient en amont de l’analyse de la nécessité de cette preuve à la défense du salarié ;
  • est sans influence sur l’appréciation de la nécessité de la preuve et donc sur l’appréciation de sa recevabilité.

Il faudra sans doute attendre davantage d’illustrations jurisprudentielles pour apprécier comment les juridictions sociales monégasques placent le curseur de la nécessité du mode de preuve et si l’analyse qui sera conduite, se rapprochera à terme du contrôle de proportionnalité auquel invite la Cour de cassation en France, tenant compte plus expressément de l’atteinte au caractère équitable de la procédure.

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Sophie Marquet et Robin Svara, CMS Monaco
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Dans cette chronique, Sophie Marquet et Robin Svara, respectivement avocate associée et avocat stagiaire au sein du cabinet CMS Monaco, analysent la manière dont le Tribunal de Monaco s’est emparé – ou non – de la nouvelle jurisprudence de la Cour de cassation relative à la production en justice de preuves obtenues déloyalement.
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