Il ne se passe désormais plus un jour sans que le terme “intelligence artificielle” ne soit mentionné autour de nous. Mais que couvre réellement l’intelligence artificielle ?
L’intelligence artificielle cherche à reproduire le raisonnement humain à travers des processus logiques, algorithmiques et automatisés, afin d’accomplir des tâches. Une technologie pouvant également s’avérer utile dans le domaine des ressources humaines. Toutefois, l’intelligence artificielle soulève des questionnements quant à son application éthique et adaptée, dans le respect de la règlementation et des discriminations prohibées (1).
L’utilisation d’algorithmes dans le processus de recrutement permet non seulement d’accélérer les différentes étapes mais aussi d’en améliorer l’efficacité. En effet, en automatisant des tâches telles que la diffusion des offres d’emploi, le sourcing, ou encore l’analyse et le tri des candidatures, l’intelligence artificielle semblerait faciliter l’identification des profils les plus qualifiés en sélectionnant ceux répondant aux compétences visées par le poste. Elle offre également la possibilité de comparer les prétentions salariales des candidats aux standards du marché en constante variation.
L’intelligence artificielle semblerait par ailleurs prometteuse dès lors qu’elle réduit les biais discriminatoires en éliminant, ou plutôt minimisant, la subjectivité liée à l’intervention humaine dans l’analyse des candidatures. Cependant, l’utilisation de données non représentatives, biaisées ou reflétant simplement les inégalités du monde réel peut entraîner la reproduction des discriminations si souvent observées dans les méthodes de recrutement traditionnelles. Les biais présents dans vie réelle se retrouvent ainsi intégrés dans les décisions algorithmiques, puis appliqués. Il en ressort qu’un critère d’apparence neutre peut alors en réalité, engendrer une discrimination indirecte prohibée.
À titre d’exemple, le tri des candidatures en fonction des rémunérations pourrait désavantager les femmes, renforçant ainsi des inégalités professionnelles préexistantes, contraires aux principes d’égalité de traitement et de rémunération entre les femmes et les hommes (2). En effet, l’intelligence artificielle bénéficie d’une capacité d’apprentissage, évolutive et perfectible, à partir des données fournies par l’intervention humaine. Lors de cette étape d’apprentissage, les concepteurs doivent alors veiller à ce que les données apportées soient représentatives et ne reflètent pas des préjugés ou inégalités sociales. Une évaluation des données en amont, associée à une supervision humaine, en aval, des résultats générés permettraient une utilisation plus juste et éthique de l’outil prédictif.
Divers outils permettent d’optimiser la gestion des équipes notamment les logiciels de gestion de projet, les plateformes collaboratives, les outils de planification automatique ou encore les logiciels de chatbot.
Il est en effet envisageable d’intégrer dans l’entreprise un chatbot, reposant sur les technologies de traitement du langage naturel, visant à répondre aux interrogations des salariés sur de nombreux sujets, tout en tenant compte des spécificités de chaque entreprise.
Imaginons un salarié souhaitant connaître son solde de congés payé : ce dernier pourrait solliciter et interagir directement avec un chatbot, accessible via l’intranet de l’entreprise ou une plateforme dédiée.
Un tel dispositif pourrait s’avérer pertinent dans le domaine de la gestion des congés, qui serait ainsi automatisée et devrait aboutir à une attribution équitable (puisqu’impartiale) desdits congés. Par ailleurs, l’analyse des données historiques offrirait une capacité de prédiction des tendances en matière de congés et d’absences, facilitant alors l’établissement de plannings d’équipes.
En pratique cependant, l’octroi des congés au sein de l’entreprise est encadré par des ordres de départ légaux ou conventionnels, les congés étant notamment accordés en fonction de critères spécifiques tels que la situation de famille des bénéficiaires, la présence d’enfants à charge ou la simultanéité des congés avec ceux du conjoint (3). Il serait donc impératif de paramétrer l’intelligence artificielle de manière à respecter les dispositions en vigueur au sein de l’entreprise.
En outre, et si cela demeure réalisable, il convient toutefois de souligner que ce dispositif ne pourrait pas intégrer l’ensemble des situations exceptionnelles pouvant se présenter et nécessitant une appréciation humaine, tels que, par exemple, l’hospitalisation ou le décès d’un proche, ou encore une circonstance personnelle imprévue exprimée par un salarié auprès de son supérieur hiérarchique.
Concernant le “talent management”, l’intelligence artificielle permet aujourd’hui la création de parcours de carrière personnalisés à travers l’analyse des profils et l’identification des écarts de compétences entre salariés dans un même secteur.
En s’appuyant sur l’historique de chaque salarié, il est envisageable de recourir à un modèle prédictif, préalablement entraîné, pour aider l’employeur à prendre des décisions en matière de promotion et de rémunération, mais aussi à anticiper les besoins de formation en fonction de divers facteurs (poste, niveau de rémunération, âge des salariés, etc.). Un tel mécanisme d’évaluation des besoins en matière de formation permettrait ainsi d’optimiser la gestion des compétences et des talents au sein de l’entreprise.
Néanmoins, l’utilisation de ces technologies soulève non seulement le risque d’une gestion déshumanisée au détriment de l’individualisation, mais également la question de la protection des données personnelles des salariés dont la collecte et le traitement sont strictement encadrés (4). En effet, aucune information personnelle concernant un salarié ne peut être collectée par un dispositif n’ayant pas été préalablement porté à sa connaissance (5). Pour garantir les droits de chacun, l’employeur doit donc impérativement informer les instances représentatives du personnel et les salariés, notamment de l’objectif poursuivi, avant d’utiliser un dispositif d’intelligence artificielle.
L’employeur ne doit pas non plus omettre d’associer les instances représentatives du personnel à la formation et à l’évaluation des compétences, voire dans les entreprises concernées, les associer à la gestion prévisionnelle des emplois et compétences.
L’intelligence artificielle pourrait également intervenir dans l’attribution des tâches, la gestion des plannings et l’organisation des équipes. L’allocation des tâches aux salariés en fonction de leurs compétences et de leur disponibilité, ainsi que la prévision de l’activité, permettraient alors un ajustement des organisations de travail.
Enfin, le contrôle du temps de travail et le respect de l’équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée préoccupations majeures des équipes RH, se verraient également facilités.
En revanche, il est impératif de souligner qu’un employeur ne pourrait pas se dédouaner d’un manquement à son obligation de sécurité dans l’hypothèse où une intelligence artificielle aurait omis de prendre en compte un élément ou commis une erreur de traitement.
La surveillance des salariés et de leurs activités constitue une prérogative de l’employeur. Toutefois, cette surveillance doit être exercée conformément au droit au respect de la vie privée, qui s’applique même dans le cadre de l’exécution de son travail. Ceci suppose par voie de conséquence que, dans le cadre de toute mesure de contrôle, l’employeur est tenu de respecter les principes de transparence et de proportionnalité.
En tout état de cause, il est indispensable d’informer les instances représentatives du personnel de la mise en place d’une intelligence artificielle et de l’inscrire dans un cadre réglementé afin de prévenir les risques d’isolement des salariés et le bouleversement des habitudes de travail.
Pour conclure, il convient de veiller à ne pas déléguer à une intelligence artificielle le pouvoir de direction et de décision qui, en droit, demeurent des prérogatives exclusives de l’employeur, lesquelles ne sauraient être confiées à une technologie automatisée ou algorithmique.
(1) Article L.1132-1 du code du travail.
(2) Article L.3221-2 du code du travail.
(3) Article L.3141-15 et L.3141-16 du code du travail.
(4) Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016.
(5) Article L.1222-4 du code du travail.
Cet article provient du site Editions Législatives - ActuEL RH