Depuis le 1er août, les salariés sont actionnaires majoritaires de Duralex. Le tribunal de commerce d’Orléans a retenu l’offre de reprise présentée par la Société coopérative de production (Scop), qui permis le maintien de tous les emplois. Combien d’entre eux ont intégré la Scop ?
À ce jour, 138 des 225 salariés ont intégré la Scop, avec une participation de 500 euros minimum. La plupart ont versé la totalité de la somme requise, d’autres ont différé leur investissement pour limiter l’impact financier. Nous avons, en effet, accordé un délai supplémentaire, jusqu’à mai 2025, date à laquelle nous aurons reçu à la fois le 13 ème mois et la prime “vacances”, pour verser le complément.
Et si tous ne sont pas associés, ils ont vocation à le devenir. Duralex a connu déjà six dépôts de bilan, je peux comprendre la défiance : nous ne voulions contraindre aucun salarié. On part d’une page blanche. L’histoire est à écrire. Mais on est plein d’énergie et prêts à relever le défi.
Duralex est un nain sur le marché mondial du verre. Mais il s’agit de la marque de verre la plus connue. On a un boulevard devant nous.
Quelles ont été vos premières démarches après le dépôt des statuts ?
Notre première assemblée générale aura lieu en octobre. C’est à cette date que nous élirons les membres du conseil d’administration. Nous aimerions que tous les métiers soient représentés mais il n’y a aucuns leviers légaux dans les statuts de la Scop qui nous permettent de le forcer. Les volontaires se feront connaître 15 jours avant l’assemblée générale. Ceux qui auront le plus de voix seront élus. Nous n’avons donc aucune garantie d’avoir une représentativité.
Seule certitude : nous avons convenu que la direction, composée de quatre directeurs (dont le DRH), ne se présentera pas au conseil d’administration pour ne pas brouiller les pistes.
En attendant, nous disposons d’un conseil d’administration temporaire, composé de 16 volontaires, tirés au sort, issus quasiment de tous les services, finance, RH, production, régleurs, maintenance, qualité, service-client.
Un changement de fonctionnement à 180 degrés en termes de gouvernance ? Qu’est-ce que ça va bouger concrètement au quotidien ?
Tout ou presque tout. Les salariés associés, présents au conseil d’administration, seront consultés sur toutes les décisions importantes. Désormais ce sont, eux, qui vont valider les grandes orientations et les investissements de l’entreprise. Certes, les décisions opérationnelles ne changent pas de main. Je serai toujours chargé du recrutement. Ou responsable d’un licenciement disciplinaire.
Les prérogatives de chacun ne bougent pas. Mais la manière d’exercer le métier diffère : les salariés actionnaires devront valider les budgets prévisionnels, donc les embauches à venir…
Attention toutefois à la confusion : chaque salarié actionnaire peut participer activement à la vie démocratique de l’entreprise. Toutefois, c’est à la direction de prendre les décisions. Le conseil d’administration est là pour contrôler la direction.
Or, pour tirer le meilleur parti de ce fonctionnement démocratique, il faut qu’ils puissent nous challenger comme tout actionnaire. Pour ce faire, il faut que chacun comprenne son rôle mais aussi le marché, l’environnement économique. C’est pourquoi, nous nous engageons à organiser des sessions de formation, avec l’appui de l’Union régionale des Scop sur les choix stratégiques, l’économie d’entreprise. Notre objectif est que chacun puisse suivre plusieurs jours de formation, avec des sessions renforcées pour les salariés élus au conseil d’administration dotés d’une triple casquette : actionnaire, membres du CA et salarié.
Quels sont vos points de vigilance ?
Au démarrage d’une Scop, il est fréquent que les rôles deviennent plus flous. Certains salariés m’ont proposé de participer aux entretiens de recrutement. D’autres prennent des libertés qu’ils ne prenaient pas avant, tançant, par exemple, un collaborateur en pause, ou le manque d’investissement d’un collègue non-actionnaire. Le plus souvent, les salariés actionnaires deviennent plus exigeants envers eux-mêmes et envers les autres. Avec le risque de créer des tensions.
Je dois donc être garant de l’égalité de traitement de tous les salariés, actionnaires ou non, pour éviter toute forme de discrimination. Ou venir en appui des managers qui continuent d’animer leur équipe.
Ne craignez-vous également des excès de zèle, plus de demandes d’heures supplémentaires, le fait d’être actionnaires entraînant un regain de motivation ?
Bien sûr. Mais 60 % des effectifs travaillent en 5X8, les heures supplémentaires sont donc limitées, d’autant que les salariés sont exposés à la chaleur et au bruit. Notre maître mot, c’est la sécurité : ce n’est pas parce que l’on est dans une Scop que l’on doit se mettre en danger pour sauver la boîte. En moyenne, le taux de fréquence des accidents du travail (nombre d’accidents du travail pour un million d’heures travaillées) oscille entre 5 et 20 dans l’industrie verrière. Chez Duralex, nous sommes à zéro et nous comptons bien rester sur cet objectif.
Et quid de la redistribution ? Les salariés ne seront-ils pas tentés de récupérer leur investissement au plus vite ?
C’est effectivement un risque. Dans les statuts, les bénéfices de l’entreprise sont répartis en trois parts dont la part “travail” (25 %), qui revient aux salariés sous forme de complément de salaire, intéressement ou participation. Certains seront donc tentés de récupérer leur investissement de départ dès que nous passerons dans le vert. Nous devons faire comprendre aux salariés actionnaires qu’il est important d’augmenter la part “entreprise” qui est une réserve (actuellement 7 % des bénéfices selon les statuts) pour constituer un vrai trésor de guerre. D’une part, pour augmenter notre capacité d’investissement. D’autre part, pour être plus crédible auprès des banques. Ce qui nécessitera là encore un travail de pédagogie.
Qu’on se le dise : dans une Scop, on s’enrichit rarement en tant qu’actionnaire-salarié. La rémunération du travail passe avant celle du capital.
Quels sont vos prochains défis en tant que DRH ?
Je viens de lancer le recrutement de quatre chargés de marketing et de quatre responsables “grands comptes export” (dont Amérique du nord, Asie, Europe du du sud). Les exportations représentent 80 % de nos ventes. On doit repenser le digital, regagner des marchés et réorganiser la distribution, notamment dans les grandes et moyennes surfaces, les grandes surfaces spécialisées ainsi que sur le marché des cafés-hôtels-restaurants. La clé de toute la réussite ? C’est de redévelopper la marque et de la moderniser.
Cet article provient du site Editions Législatives - ActuEL RH