La dimension sensorielle du soin
Rappelant le rôle central bien qu’invisible de la confrontation aux sens dans le travail de soin, ce livre collectif dévoile un savoir sensible qui s’exprime trop souvent sans se dire.
Il y a d’abord un état de fait : être soigné et soigner, c’est se côtoyer, être réunis
. En partant de ce constat, de ces relations entre soignants et soignés qui se manifestent par des interactions dès lors qu’ils entrent en contact, Les sens au cœur du soin s’intéresse aux perceptions qui découlent de la mise en présence. Nous sommes donc face à une affaire de sens, pour chacun des intervenants, avec pour le malade des sensations qui seront fréquemment amoindries, évanescentes voire perdues quand il ne peut plus voir, entendre ou toucher. Le soignant se doit d’en tenir compte et le soin s’avère ainsi un travail avec les sens, ceux du patient mais aussi de celui qui fournit ce soin car ils lui permettent de ressentir chacun des signes envoyés par la personne souffrante. Le soignant développe ainsi un savoir sensible essentiel, comme on le découvre au fil des pages de façon très concrète.
Qu’est-ce que cela fait de toucher un corps abimé, d’entendre gémir ou de sentir des secrétions corporelles ? Le vécu des sens devient-il moins intense avec l’expérience ? Peut-on soigner si l’on éprouve une forme d’aversion ou de dégoût pour une odeur ou un comportement ? Le soin infirmier conduit tout naturellement à se retrouver confronté à ce type de questions, ici soulevées par une mise en écrit de sensations assez peu dites dans un cadre professionnel n’invitant pas forcément à parler de sens et d’émotions. Coucher les mots sur le papier apparaît comme un moyen d’approcher au plus près de ce qui se passe dans l’intime du soin
. En attestent les différents textes rassemblés dans cet ouvrage qui replace donc les sens au cœur du soin, et en premier lieu ceux de l’infirmier ou de l’aide-soignant particulièrement mis en éveil par une proximité avec le patient qui relève du corps à corps, de l’esprit à l’esprit.
D’une approche philosophique des sens au vécu sensoriel de l’interaction corporelle, d’une observation qui doit dépasser le fait de regarder pour développer un ressenti global relevant d’une sorte de sixième sens aux différentes facettes de l’utilisation de l’ouïe, d’une approche lucide de la sensation de dégoût au caractère incontournable du toucher, chaque auteur apporte un remarquable éclairage sur ce qui s’éprouve dans l’exercice du soin. Des entretiens avec des infirmiers expérimentés mais aussi des étudiants permettent par ailleurs de diversifier ce vécu des sens à travers des expériences singulières d’un ressenti relationnel que chaque soignant vit au quotidien. Bref, une lecture sensationnelle.
Les sens au cœur du soin, (éditions Seli Arslan)
Et aussi…
Cancer
Généticien spécialisé en cancérologie et président de la Société française de médecine prédictive et personnalisée, Pascal Pujol ne livre évidemment pas un réquisitoire contre la chimiothérapie. Cela n’aurait aucun sens du point de vue médical
, explique-t-il d’emblée, en rappelant le caractère indispensable de ce type de traitement prescrit à plus de 300 000 malades du cancer français chaque année. Ce professeur estime en revanche que son devoir de médecin
est d’en montrer les limites sans se voiler la face sur la toxicité de la chimio. Il montre surtout qu’il est désormais possible de l’associer voire de la remplacer avec des traitements plus ciblés, de l’immunothérapie aux thérapies cellulaires. Le docteur Pujol souligne l’importance d’un dépistage précoce, décrypte les perspectives d’une médecine prédictive s’appuyant sur la génomique, mais dit aussi comment mieux vivre avec une chimio en limitant ses lourds effets secondaires grâce à des soins de support. Une voix précieuse tant pour les malades que pour les soignants confrontés au cancer.
Dépasser la chimio, de Pascal Pujol (éditions HumenSciences)
Témoignage
, confie Chloé Duperrin dans ce témoignage poignant d’une jeune femme qui a perdu sa fille victime d’une tumeur au cerveau. Elle nous entraine dans le monde du cancer pédiatrique avec une immersion dans une chambre de l’Institut Curie où elle a vécu pendant six mois avec son enfant emportée par la maladie avant son premier anniversaire. Le pire imaginable pour une mère, une expérience tragique et un combat mené en commun avec un bébé se révélant une guerrière. L’histoire d’un amour infini qui va dépasser la mort par le lien inextinguible unissant à jamais ces deux êtres. Chloé a eu besoin de le partager et donc d’
On a vécu l’enfer, et on a connu l’amourécrire le livre qui ressusciterait ma fille
. Elle s’y montre particulièrement reconnaissante envers les soignants qui les ont accompagnées durant ces long mois d’une lutte pour la vie. Malgré une issue fatale, ce livre témoigne finalement la force de cet amour par son récit bouleversant.
Tout ce que peut l’amour, de Chloé Duperrin (Editions Michalon)
Brice Perrier
Cet article provient du site Infirmiers.com