C’était annoncé, c’est désormais fait : le licenciement prononcé en violation du droit au respect de l’intimité de la vie privée est nul avec toutes les conséquences qui s’y attachent. Par deux arrêts du 25 septembre 2024 (1), la Cour de cassation a en effet inauguré une distinction, dont le maniement risque de ne pas toujours être très aisé, entre le motif tiré de la vie personnelle du salarié et celui relevant de l’intimité de sa vie privée. Désormais, en cas de licenciement fondé sur un fait tiré de la vie personnelle, on continue d’appliquer le régime que l’on connait : un tel fait ne peut en principe pas constituer un motif de licenciement sauf s’il constitue la méconnaissance d’une obligation résultant du contrat de travail ou s’il entraîne un trouble objectif au sein de l’entreprise, auquel cas le licenciement ne peut cependant pas être de nature disciplinaire, là où il l’est dans le cas précédent (2). Et si le licenciement ne respecte pas ce régime, la sanction est celle, classique, de l’absence de cause réelle et sérieuse et l’application du tant décrié barème d’indemnisation. Lorsque, en revanche – c’est l’apport fondamental de ces arrêts – est en cause non plus seulement un fait tiré de la vie personnelle du salarié, mais un fait relevant de “l’intimité de sa vie privée”, le licenciement devient totalement impossible et la sanction est alors radicale : c’est la nullité, l’employeur ayant ainsi porté atteinte à une liberté fondamentale. On pressent déjà l’avenir radieux que l’invention de ce double régime va avoir en contentieux : l’indemnisation du licenciement nul étant sans commune mesure avec celui du licenciement sans cause réelle et sérieuse, il est assez probable – qui leur en voudrait ? – que, dans tous les cas où un licenciement se fonderait un motif tiré de la vie privée, les salariés cherchent à se placer sur le terrain de la nullité – c’est l’un des effets pervers du barème : il encourage les stratégies de contournement.
On ne trouverait rien à redire – encore que tout cela manque un peu de clarté – si cette toute nouvelle distinction n’avait pas conduit en l’occurrence à protéger infiniment mieux un salarié dont le comportement était franchement inadmissible, qu’un salarié qui avait été licencié pour un motif qui, pour le coup, n’avait effectivement rien à voir avec le travail. Les faits parlent d’eux-mêmes : dans la première de ces deux affaires, le salarié avait été licencié pour avoir été arrêté sur la voie publique en possession de cannabis – étant précisé qu’en définitive, il n’a pas été poursuivi ; la Cour de cassation a jugé que ce fait relevait de sa vie personnelle et que dans la mesure où il n’avait aucun lien avec le contrat de travail, le licenciement était sans cause réelle et sérieuse. Solution classique donc, prise en application d’une jurisprudence constante. Dans la seconde affaire, à notre sens beaucoup plus grave, le contrat de travail avait été rompu pour faute grave en raison cette fois de la découverte par l’employeur lors d’une absence du salarié que celui-ci s’amusait, au temps et au lieu du travail, à échanger, au moyen de sa messagerie professionnelle installée sur son ordinateur professionnel, avec trois camarades, des propos, qui se voulant probablement virils, étaient d’un sexisme affligeant et d’une vulgarité crasse, le tout avec grand renfort d’images à caractère pornographique – c’est beaucoup plus amusant ! La Cour de cassation a considéré ici que le licenciement, fondé sur des échanges qui n’avaient pas vocation à être rendues public, portait atteinte à “l’intimité de la vie privée” du salarié et que, s’agissant là de la violation d’une liberté fondamentale, le licenciement était atteint de nullité. Etrange monde où, dans le cadre de la gestion des risques psychosociaux, l’on impose à l’employeur de lutter contre les violences sexistes et sexuelles, mais où on le condamne à la sanction la plus lourde lorsqu’il licencie un salarié qui très précisément se livre à ce genre de pratique. Cela, évidemment, n’est pas sans questionner, surtout si l’on songe que la solution ne devrait pas seulement s’appliquer aux propos sexistes, mais, de façon générale, à tous les propos nauséabonds. En plus des sexistes, nous aurons donc bientôt quantité de racistes, antisémites, homophobes, et j’en passe qui, toute honte bue, se sentiront légitimes à saisir le juge pour demander la nullité de leur licenciement prononcé en méconnaissance de leur droit à “l’intimité de la vie privée” – fort heureusement, on ne nous parle pas encore de liberté d’opinion et de conscience. Comment en est-on arrivé là ? Quatre arrêts auront suffi à cette farce, qui pourrait bien se révéler être en réalité une tragédie en quatre actes.
Le premier acte est pratiquement passé inaperçu : c’est un arrêt du 20 septembre 2023 qui eut certes les honneurs d’avoir été rendu en formation de section mais non d’avoir été publié au Bulletin – le changement de doctrine de la Cour de cassation n’étant probablement pas alors encore suffisamment affirmé pour le mériter. Quelques quinze jours seulement avant les terribles massacres du 7 octobre, l’affaire avait tout l’air d’être prémonitoire des conflits qui secouent depuis lors la France. Le salarié, journaliste au sein d’une agence de presse internationale, avait été licencié par cette dernière pour avoir tenu sur Facebook ou y avoir liké des propos qui, sous couvert d’antisionisme, étaient ouvertement antisémites : certains d’entre eux appelaient, de manière à peine déguisée, à la liquidation d’Israël et de ses habitants. Le salarié, certes, se répandait sous pseudonyme, mais de manière si peu dissimulée qu’en réalité, il était assez facile de l’identifier et de savoir en outre pour qui il travaillait dès lors qu’il se présentait lui-même sur son profil comme “un journaliste travaillant pour la plus grande agence de presse du monde”. Considérant, assez légitimement, que l’on ne peut pas tout dire et le dire n’importe où, surtout lorsque l’on est journaliste et lorsque l’on travaille “pour la plus grande agence de presse du monde”, laquelle n’a de crédibilité que si elle délivre de l’information brute, objective et impartiale, l’employeur n’avait pas hésité : il l’avait licencié pour faute grave, invoquant à l’appui de ce licenciement la neutralité à laquelle il était tenu en qualité de journaliste et ce, tant d’un point de vue déontologique qu’en vertu des règles d’utilisation des réseaux sociaux de l’agence et de l’article 10 de son contrat de travail qui prévoyait une obligation de loyauté. La cour d’appel avait admis ce raisonnement : considérant l’obligation de loyauté expressément visée au contrat de travail et les règles d’utilisation des réseaux sociaux de l’agence, elle avait effectivement retenu que pesait sur le salarié une obligation de loyauté qui avait été en l’espèce d’autant plus violée que, d’une part, même en publiant sous pseudonyme, il était aisément identifiable et que, d’autre part, il ne pouvait se retrancher derrière sa liberté d’expression, les propos tenus présentant un caractère à la fois injurieux et excessif, justifiant le licenciement. La cour d’appel s’était donc placée sur le terrain classique de la liberté d’expression, appliquant doctement la formule bien connue de l’arrêt Pierre (4) : “sauf abus, le salarié jouit, dans l’entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d’expression”. Ici, l’abus était caractérisé, de sorte que la faute grave pouvait être invoquée.
Le raisonnement a été censuré par la Cour de cassation qui, pour la première fois, a quitté le terrain de la liberté d’expression pour s’aventurer sur celui de la vie privée. Les conclusions de l’avocate générale dans cette affaire, l’avait laissé deviner : alors que l’arrêt de la cour d’appel n’évoque que la liberté d’expression, c’est exclusivement sur le terrain de la vie personnelle qu’elle s’est placée, considérant que l’utilisation d’un réseau social relève de la vie privée et que, dès lors, conformément à une jurisprudence effectivement constante, un tel fait ne pouvait revêtir un caractère disciplinaire que s’il caractérisait un manquement une obligation résultant du contrat de travail. La Cour de cassation va lui emboiter le pas : écartant implicitement l’argument tiré de ce que le journaliste était tenu à une obligation de neutralité du seul fait de l’obligation de loyauté résultant de son contrat de travail, elle a cassé l’arrêt de la cour d’appel pour deux raisons : d’abord parce qu’il ne se serait pas prononcé sur le caractère contractuel des règles d’utilisation des réseaux sociaux invoquées par l’employeur ; ensuite parce qu’elle n’avait pas recherché si la configuration privée du compte personnel Facebook ouvert par le salarié sous un pseudonyme, ne conférait pas aux publications diffusées sur ce compte et aux commentaires qu’il avait publiés ou likés sous pseudonyme, le caractère d’une conversation de nature privée. Le message est clair : si l’on considère que la conversation est privée, on ne relève plus du champ de la liberté d’expression, mais de celui de la vie personnelle. Or, dans ce cadre, la question du caractère contractuel des règles de conduite sur les réseaux sociaux devient effectivement centrale puisqu’il est depuis longtemps constant qu’un fait de la vie personnelle ne peut fonder un licenciement disciplinaire que s’il constitue un manquement à une obligation découlant du contrat de travail. On peut donc être notoirement antisémite, se répandre sur les réseaux sociaux et y être facilement identifiable, il suffit d’avoir pris un pseudonyme et de disposer d’un compte privé, pour le faire librement et échapper au licenciement dès lors que le contrat de travail ne l’interdit pas ; et cela vaut même lorsque l’on est un journaliste et que l’on travaille pour une agence de presse.
Le deuxième acte a suivi de quelques mois et de spectaculaire façon : un arrêt d’Assemblée plénière qui a certes fait moins de bruit que celui, en date du même jour, relatif à la preuve déloyale, mais qui marque pourtant un tournant en droit du travail puisqu’il exclut pour sa part les échanges privés du champ du pouvoir disciplinaire de l’employeur. Les faits sont si banaux que l’on se demande bien comment on peut encore être aussi peu prudent : alors qu’il remplaçait l’un de ses collègues partis en congés, un salarié découvre sur le compte Facebook de celui-ci, resté ouvert, les conversations ordurières et ouvertement homophobes, que celui-ci tient, avec une de leurs collègues, à son propos, dans lequel il est généreusement traité de “pédé” qui “fuck” son “chef” pour obtenir une promotion. Bien entendu, les propos ont été immédiatement portés à la connaissance du “chef” qui, le prenant lui-même assez mal, licencie l’épistolier pour faute grave. Alors que, devant l’Assemblée plénière, la question était de savoir si ces conversations pouvaient ou non être considérées comme des modes de preuve admissibles, la Cour de cassation ne va finalement pas se placer sur ce terrain, mais sur celui, qu’elle a d’ailleurs relevé d’office, du droit au respect de la vie privée. Par une formule cinglante, elle juge qu’une “conversation privée qui n’était pas destinée à être rendue publique ne pouvant constituer un manquement du salarié aux obligations découlant du contrat de travail, il en résulte que le licenciement, prononcé pour motif disciplinaire, est insusceptible d’être justifié”. On reconnait dans ces motifs une filiation évidente avec l’arrêt précédent : dans les deux cas, il s’agit d’une conversation privée – ou susceptible d’être qualifiée comme telle – tenue sur Facebook. Mais là où l’arrêt du 20 septembre 2023 reprochait à la cour d’appel de ne pas avoir vérifié si cette conversation privée constituait un manquement à une obligation de neutralité de nature contractuelle, celui du 22 décembre 2023 est beaucoup plus radical : il exclut par principe qu’une conversation privée puisse constituer un manquement du salarié à l’une quelconque de ses obligations. On a donc le droit d’insulter ses collègues de travail depuis l’ordinateur de l’entreprise sur un compte Facebook que l’on ne prend pas la peine de fermer et l’on utilise au bureau pour converser avec d’autres salariés : cela serait parfaitement normal, ne regarderait personne, et surtout pas l’employeur qui n’a pas le droit de s’en offusquer, y compris quand il est personnellement mis en cause. Après tout, il n’avait pas qu’à fureter dans l’ordinateur de l’un de ses salariés alors qu’il était en vacances … Car c’est bien cela le plus troublant dans cette affaire : le salarié était absent, c’était son ordinateur professionnel, auquel il est légitime que l’employeur ait accès, surtout en son absence, il avait laissé le compte Facebook ouvert et pourtant l’arrêt a comme l’air de dire que l’employeur se serait immiscé là où il n’aurait jamais dû être. L’honnêteté commande certes de dire que cela n’est pas entièrement nouveau : la Cour de cassation avait déjà jugé – il y a longtemps – que si l’employeur peut consulter des fichiers ou des correspondances non signalées comme de nature privée par le salarié, il ne peut en revanche pas, si son contenu s’avère privé, s’en prévaloir à l’appui d’un licenciement (6). L’Assemblée plénière le confirme avec force, offrant ainsi aux salariés concernés un prestigieux – mais choquant – totem d’immunité.
Un pas supplémentaire a été franchi par la chambre sociale le 6 mars 2024 avec un arrêt qui, cette fois, ne concerne pas une conversation strictement privée, mais une conversation tenue, au sein d’un groupe de personnes dont certains étaient des salariés, sur la messagerie professionnelle d’une caisse d’assurance maladie – pour une fois, donc, il n’était pas question de Facebook. Cette fois, les propos tenus n’étaient ni antisémites, ni homophobes : ils étaient en revanche racistes et avaient été transférés par erreur par l’un des destinataires à une adresse générale de la Caisse – décidément, le manque de prudence est commun. Alors que cette fois-ci, le rattachement, au moins indirect, à la vie professionnelle ne faisait guère de doute – la messagerie était professionnelle, installée sur des ordinateurs professionnels et certains des destinataires étaient des salariés – la Cour de cassation va faire basculer les faits du côté de la vie personnelle en jugeant que “le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l’intimité de sa vie privée”, de sorte que l’employeur ne peut, pour procéder au licenciement d’un salarié, se fonder sur le contenu de messages, qui, même s’ils avaient été envoyés au moyen de la messagerie professionnelle, relèvent de la vie personnelle du salarié dès lors, d’une part, que ces messages concernaient un groupe fermé de salariés et n’avaient pas vocation à devenir publics, et d’autre part, que les opinions exprimées n’avaient eu aucune incidence sur l’emploi du salarié ou ses relations avec les usagers ou ses collègues et qu’il n’est pas établi qu’ils auraient été connus en dehors de ce cadre privé. On peut donc être raciste au sein de l’entreprise, cela ne pose aucune difficulté pourvu qu’on le soit en nombre limité et que l’on reste discret. Certes, à la différence d’une conversation strictement privée, dont on a vu que, depuis l’arrêt d’Assemblée plénière du 22 décembre 2023, elle ne peut jamais être considérée comme fautive, l’échange litigieux, parce qu’il avait eu lieu dans le cadre professionnel, s’est vu appliquer le régime classique, et moins radical, du “fait tiré de la vie personnelle” : le licenciement pour faute aurait été possible si les propos avaient constitué un manquement à une obligation découlant du contrat de travail. C’est ce qui explique que la Cour de cassation ait pris grand soin de préciser combien, hormis le petit détail, visiblement négligeable, que constituent ses opinions, la salariée concernée était par ailleurs irréprochable : parce qu’elle exécutait fort bien les obligations découlant de son contrat de travail, elle pouvait donc, depuis sa messagerie professionnelle, se montrer insultante envers certains de ses collègues, le tout étant qu’ils n’en sachent rien. Le régime de la liberté d’expression et ses éventuels abus sont ici hors sujet et il semble bien qu’avec cet arrêt ils n’aient plus vocation à s’appliquer que dans une unique hypothèse : lorsque les propos sont tenus en public, à l’intérieur ou l’extérieur de l’entreprise, et à la condition qu’ils ne concernent pas un fait relevant de la vie personnelle du salarié. En bref, seuls les propos publics relatifs à l’entreprise ou, de façon plus générale, à la vie professionnelle du salarié, devraient désormais relever du régime de la liberté d’expression. Dans tous les autres cas, c’est la vie privée qui semble l’emporter.
Tout était alors réuni pour un quatrième acte décoiffant car il ne manquait plus à la farce que l’aggravation de la sanction. Dès le printemps, c’est-à-dire dès après l’arrêt du 6 mars précité, cela avait été susurré dans quelques conférences autorisées : avec la vie personnelle, on est tout de même tout proche du droit au respect de la vie privée, lequel est, on le sait, protégé sur le fondement de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales. Or, qui dit liberté fondamentale, dit nullité du licenciement avec la sanction la plus lourde puisque, en cas de réintégration du salarié – que, fort heureusement, celui-ci n’est pas obligé de demander – il a droit à l’intégralité des salaires qu’il aurait dû percevoir de son licenciement à sa réintégration, sans déduction des revenus de remplacement. C’est, on l’a vu, ce qu’a donc jugé, en formation de section, la chambre sociale le 25 septembre dernier à propos d’un salarié licencié pour des propos ouvertement sexistes tenus sur sa messagerie professionnelle, mais le cadre d’une conversation qui a une fois de plus été qualifiée de privé. On aimerait bien savoir ce que penseront ses collègues de travail de sexe féminin, désormais au fait de ses représentations à leur sujet, lorsque, une fois réintégré, et son compte en banque bien rempli de l’indemnité versée par l’employeur, il viendra s’assoir à côté d’elles dans l’open space. Il est possible que l’employeur ait alors affaire à une autre forme de difficulté, dont on se demande comment il va pouvoir la résoudre alors qu’il aura bien du mal à le licencier à nouveau, sauf éventuellement pour trouble objectif au sein de l’entreprise – car on ne doute pas que dans une telle situation, le trouble puisse être grand. Quoi qu’il en soit, avec ce quatrième arrêt, la boucle est en quelque sorte bouclée puisque nous aurons eu, en moins d’un an, pratiquement toute la gamme des propos orduriers : antisémites avec l’arrêt du 20 septembre 2023, homophobes avec celui, rendu en Assemblée plénière, du 22 décembre 2023, racistes et xénophobes avec celui du 6 mars 2024 ; et nous voilà maintenant avec les propos sexistes – on nous aura tout fait. Chaque fois, la protection du salarié s’est élevée, jusqu’à atteindre un niveau tel avec l’arrêt du 25 septembre 2024 qu’on frémit déjà à l’idée de ce que la Cour de cassation pourrait encore inventer de plus protecteur lorsque viendra immanquablement le tour d’autres catégories de propos discriminants ou dégradants. Dans une société où d’aucuns se lamentent sur le fait qu’on-ne-peut-plus-rien-dire, la Cour de cassation vient de démontrer avec force que ce n’est pas le cas et qu’au contraire, on peut, même au travail, dire des horreurs, pourvu que ce soit dans une conversation privée. On s’étonne cependant d’une chose – qu’on laissera méditer en guise de conclusion : si, chacun, à commencer par les salariés, a évidemment le droit au respect de l’intimité de sa vie privée, il demeure que, dans le système de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme, aucun droit, ni aucune liberté ne sont jamais intangibles et qu’un contrôle de proportionnalité doit avoir lieu chaque fois qu’une atteinte à un droit ou une liberté est constatée ; or, en l’occurrence, compte tenu de la nature des propos tenus et du fait, qui n’est tout de même pas négligeable, que certains des propos aient été tenus depuis une messagerie professionnelle, installée sur un ordinateur professionnel, et à destinations d’autres salariés, il aurait peut-être été utile, même en les qualifiant de conversations privées, de rechercher si l’atteinte au droit à la vie privée que constitue dans un tel cas le licenciement disciplinaire, n’était pas justifiée et proportionnée au but recherché – à savoir ici le nécessaire respect que l’on doit à ses prochains et la lutte contre toute forme de discrimination. C’est à ce contrôle de proportionnalité que s’était livrée la Cour de cassation dans l’arrêt Tex, où il était seulement question de la liberté d’expression (9). Elle gagnerait à faire de même avec le droit au respect de l’intimité de la vie privée.
(1) Arrêt du 25 septembre 2024, publié au Bulletin et 2e arrêt du 25 septembre 2024, publié au Bulletin
(2) Longtemps s’ajoutait une troisième exception : le motif tiré de la vie personnelle pouvait être un motif de licenciement s’il se rattachait à la vie professionnelle. Mais les derniers arrêts, à commencer par celui, rendu en Assemblée plénière le 22 décembre 2023, publié, n’y font plus référence, de sorte que l’on est en droit de se demander si ce critère existe encore.
(3) Arrêt du 20 septembre 2023, inédit.
(4) Arrêt du 14 décembre 1999, publié, Droit social 2000. 163, conclusions J. Duplat et note J.-E. Ray.
(5) Assemblée plénière, 22 décembre 2023, publié au Bulletin
(6) Chambre mixte, 18 mai 2007 ; arrêt du 5 juillet 2011. Il s’agissait en l’occurrence, dans les deux cas, d’échanges de revues et de vidéos à caractère pornographique. Jamais cependant, elle ne l’avait dit avec autant de clarté.
(7) Arrêt du 6 mars 2024, publié au Bulletin.
(8) Arrêt du 25 septembre 2024, publié au Bulletin.
(9) Arrêt du 20 avril 2022, sur l’exercice du contrôle de proportionnalité auquel s’est livrée la Cour de cassation dans cet arrêt, A. Fabre, “Retour sur l’arrêt Tex : et si la liberté d’expression du salarié avait changé de régime ?, Revue de droit du travail (RDT) 2022, p. 492.
Cet article provient du site Editions Législatives - ActuEL RH