Comment assurer son obligation de sécurité dans un contexte international tendu ?


Chronique

Que les salariés soient en télétravail depuis un pays à risques géopolitiques ou sanitaires, en mission, ou dans un pays qui ne présentait initialement aucun danger, il incombe aux employeurs d’anticiper les menaces et de prendre des mesures préventives pour assurer leur sécurité.

L’actualité récente au Liban en est une illustration frappante : si vous avez des salariés en mission, détachés, expatriés ou télétravailleurs, même à leur demande, la question de votre responsabilité en matière de santé et de sécurité se pose de manière immédiate et urgente.

Pour commencer par une donnée qui semble basique, mais qui se complexifie dans un monde du travail flexible, il est important de savoir où sont situées vos équipes, en particulier lorsqu’elles travaillent à l’international. Le collaborateur ne peut pas décider seul de son lieu de travail, l’employeur ayant une obligation d’encadrer la mission et d’assurer la sécurité de son personnel. C’est dans ce sens qu’a été rendu le jugement du conseil des prud’hommes de Paris le 1er août 2024. Dans cette affaire, une salariée, télétravaillant depuis le Canada sans l’autorisation préalable de son employeur, a été valablement licenciée pour faute grave.

En effet, l’obligation en matière de santé et de sécurité ne disparaît pas lorsque les salariés sont en mission, détachés ou expatriés, en télétravail, en formation, ou en séminaire à l’étranger.

Le salarié a droit à la protection pendant tout le temps de la mission qu’il accomplit pour son employeur, peu important que l’accident survienne à l’occasion d’un acte professionnel ou d’un acte de la vie courante.

Quelques illustrations

Dans l’arrêt Karachi (cour d’appel de Rennes, 24 octobre 2007, n° 06/06410), la justice a retenu la faute inexcusable de l’employeur pour manquement à son obligation de sécurité, les salariés ayant été victimes d’un attentat terroriste perpétré contre un bus loué par l’employeur.

Dans une autre affaire, l’employeur a été condamné pour manquement à son devoir de protection, car il n’avait pas mis en place les mesures nécessaires, alors qu’une salariée expatriée à Abidjan a été agressée en dehors de ses horaires de travail, après avoir averti son employeur des risques pour les ressortissants français et demandé expressément un rapatriement en France (arrêt du 7 décembre 2011).

Tel est également le cas si un salarié a contracté une amibiase après avoir consommé de l’eau non potable lors d’une mission à Haïti, l’entreprise n’ayant mis en place ni le matériel approprié ni accepté la prise en charge du rapatriement sanitaire (arrêt du 15 novembre 2023).

Ces affaires rappellent que la responsabilité s’étend aux situations où le salarié, bien que hors de son temps de travail, se trouve en danger dans un contexte international.

Il est alors indispensable de mettre en place les mesures nécessaires soit sur place, soit via un rapatriement d’urgence. A cet égard, en dehors des cas de rapatriement pilotés par les Etats pour leurs propres ressortissants, il est également courant pour les entreprises privées, d’affréter, lorsque cela est possible, des avions pour rapatrier les salariés pris sur place dans un évènement sanitaire ou climatique.

Mais même au-delà des situations internationales d’urgence, la jurisprudence illustre clairement l’étendue de l’obligation de sécurité, même dans des circonstances qui peuvent a priori sembler éloignées de l’activité professionnelle.

Le décès d’un salarié, survenu dans la salle de bains de sa chambre d’hôtel en Chine, à la suite d’une hémorragie cérébrale durant une mission, a été considéré comme relevant de la législation du travail (arrêt du 19 juillet 2001).

De même pour le cas d’un salarié qui s’est blessé à la main après avoir glissé en dansant dans une boite de nuit. Les juges ont estimé que le fait d’être simplement présent à cet endroit ne suffisait pas à établir l’absence de lien avec l’activité professionnelle. Il n’était pas exclu que le salarié se trouve en boîte de nuit pour accompagner des clients ou des collaborateurs (arrêt du 12 octobre 2017). 

Les situations insolites survenant lors de déplacements peuvent également engager votre responsabilité en matière de sécurité. La blessure d’une hôtesse de l’air ayant chuté en skateboard pendant sa période de repos lors d’une escale illustre ce principe. En effet, la salariée a simplement réalisé un acte ordinaire de la vie courante, sans que cela n’ait un caractère exceptionnel, ni qu’elle n’ait pris de risques inconsidérés en choisissant son moyen de locomotion, il n’en reste pas moins que la salariée se trouvait en mission au moment de l’accident (cour d’appel de Paris, 26 avril 2024).

Pour conclure cette série d’illustrations, il est impossible de ne pas évoquer l’exemple emblématique du malaise cardiaque fatal après une relation sexuelle pendant une mission. La jurisprudence a considéré cet événement comme relevant de la législation sur les accidents du travail, le qualifiant d’acte de la vie quotidienne. L’employeur n’ayant pas réussi à démontrer que la mission avait été interrompue pour des raisons personnelles, l’accident a été reconnu comme professionnel, soulevant ainsi des interrogations sur la distinction entre un acte de la vie courante et une interruption de la mission pour des motifs personnels (cour d’appel de Paris, 17 mai 2019, n° 16/08787).

Comment renverser la présomption ?

Et pour cause, la seule possibilité pour l’employeur de s’exonérer de sa responsabilité liée à un accident ou une maladie professionnelle est de démontrer que le salarié a temporairement interrompu sa mission pour un motif personnel.

La logique sous-jancente est claire : si le salarié n’avait pas été en mission, l’accident n’aurait pas eu lieu.

Bien que la présomption d’imputabilité d’un accident au travail soit considérée comme une présomption simple, il peut s’avérer difficile de la renverser à la lumière des décisions jurisprudentielles précédemment évoquées. La Cour de cassation n’a pas encore défini ce qui constitue précisément une interruption pour motif personnel. Il est toutefois raisonnable de considérer que les accidents survenus durant des activités de détente ou de loisirs n’entrent généralement pas dans le cadre de la législation sur les accidents du travail. Par exemple, des jurisprudences anciennes considèrent que des cas d’accident survenu lors d’une baignade dans la piscine de l’hôtel ou lors d’une excursion en hélicoptère ne pouvaient être qualifié d’accident du travail.

Si en revanche, le salarié participe à des activités dites de détente en compagnie de ses relations professionnelles, la mission ne sera pas considérée comme interrompue. Les juges condamnent d’ailleurs souvent les employeurs par manque de preuve : il aurait fallu par exemple par des témoignages ou par l’interrogation de personnes susceptible de donner des informations, prouver que le salarié se serait rendu à son activité de détente de sa propre initiative.

Etendue de l’obligation

Enfin, abordons la nature de l’obligation. Initialement contractuelle et de résultat, l’obligation de sécurité est devenue une obligation de moyens renforcée ou de résultat atténuée (arrêt du 25 novembre 2015). Cela signifie que vous êtes tenu de mettre en place toutes les mesures nécessaires pour protéger vos collaborateurs, quel que soit le lieu ou les conditions de leur travail.

Ainsi, il vous incombe d’anticiper les dangers et de mettre en œuvre des actions préventives pour garantir leur sécurité.

L’obligation de sécurité ne se limite pas à des actions préventives. Elle englobe également une obligation d’information et de formation, visant à sensibiliser vos employés aux risques auxquels ils peuvent être exposés. Ainsi, lorsque vos employés se rendent dans des zones à risque, vous devez vous assurer qu’ils reçoivent une formation adéquate sur les comportements à adopter en cas de danger, ainsi qu’un soutien logistique pour garantir leur sécurité.

En conclusion

L’obligation de sécurité implique d’être proactif et ne se cantonne pas au temps de travail. A l’international, il faut encadrer, mettre en place des plans d’actions, former, et anticiper les risques. Si la situation se tend, il faut écouter les salariés et satisfaire leurs demandes de retour anticipé, et bien sûr agir vite, en rapatriant les salariés le cas échéant.

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Signature: 
Sandra Thiry et Manon Gestin-Rouichi, Kopper
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Dans cette chronique, Sandra Thiry et Manon Gestin-Rouichi, respectivement avocate associée et collaboratrice au sein du cabinet Kopper, rappellent l’étendue de l’obligation de sécurité qui pèse sur les employeurs dont des salariés travaillent ou sont en mission à l’étranger.
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Sandra Thiry et Manon Gestin-Rouichi
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Cet article provient du site Editions Législatives - ActuEL RH