A quoi ressemble une passation de pouvoirs ministériels dans un nouvel exécutif aux allures de remaniement et dont l’assise parlementaire paraît fragile ? A un exercice de style mariant, plus ou moins subtilement, promesse de changement et continuité. Le changement, tout d’abord, est celui du périmètre des ministères sociaux. Si la passation de pouvoirs entre Catherine Vautrin et Astrid Panosyan-Bouvet a eu lieu hier matin à Paris au ministère de la santé, avenue Duquesne, et non au ministère du travail rue de Grenelle (des locaux qui vont faire l’objet de travaux pour deux ans), le nouveau gouvernement met bel et bien fin au “ministère XXL”, selon les mots de l’ancienne ministre : le travail et la santé sont désormais bien séparés.
Le changement, c’est aussi le ton employé par Astrid Panosyan-Bouvet pour sa première prise de parole. L’ex-député Renaissance, qui a cofondé En Marche et qui fait donc partie des personnalités historiques du macronisme, n’a pas craint de parler de “pénibilité”, un mot honni par le président de la République, tout en se montrant très prudente sur le fond, ne s’exprimant pas, par exemple, sur l’assurance chômage.
Comme s’il s’agissait de marquer, sinon une rupture, du moins sa marque, Astrid Panosyan-Bouvet a dit vouloir rendre la réforme des retraites “plus soutenable pour tous” et “répondre aux anxiétés qu’elle a pu générer, notamment chez les femmes”.
Travailler “deux ans de plus dans un pays où passé 55 ans on a le sentiment de ne plus avoir tout à fait sa place dans le monde du travail ou quand le métier qu’on exerce est pénible, cela peut apparaître comme anxiogène”, a-t-elle expliqué.
Côté continuité, la nouvelle ministre s’inscrit dans la recherche du plein emploi, “car la bataille n’est pas gagnée pour les jeunes, ni pour les femmes qui ont du mal à trouver des modes de garde, ni pour les personnes éloignées de l’emploi par les aléas de la vie, ni pour les seniors”.
Il faut donc, dit la ministre, poursuivre “les efforts de la réforme de France Travail et de l’accompagnement des bénéficiaires du RSA”.
Mais, là encore, la petite musique qui accompagne le discours s’avère quelque peu différente de ces prédécesseurs : le plein emploi, dit l’ancienne DRH de Groupama, ne doit pas être la seule priorité, comme en écho aux éphémères Assises du travail qui devaient remettre dans le débat public la qualité du travail et les conditions de travail. “Le plein emploi n’est pas le travail, il ne dit rien de sa réalité individuelle et subjective. Le travail, c’est un lieu de construction de l’estime de soi et du lien social, c’est la possibilité de se construire une meilleure vie pour soi et ses enfants”, vante la ministre, comme un retour aux promesses macronistes d’émancipation individuelle par le travail de 2017.
Et la ministre d’insister : “Le travail doit payer”. Car si le Smic peut être “un salaire d’entrée dans la vie active”, il ne peut être “un salaire à vie” et “il nous faut regarder la question des bas salaires”.
La nouvelle ministre souhaite également lever “les freins” à la mobilité professionnelle grâce à un travail interministériel (logement, etc.). Car, dit-elle, le ministère du travail et de l’emploi ne doit pas seulement être celui des crises, mais il doit être aussi celui de l’anticipation, et des sujets au temps long, “comme l’adaptation des métiers à l’intelligence artificielle et à la transition écologique, la montée en gamme de notre économie vers la réindustrialisation et le numérique”.
Enfin, la ministère du travail et de l’emploi souhaite aussi incarner un changement de méthode : “Personne n’a le pouvoir seul de relever les défis qui s’imposent à tous. La réussite viendra de l’engagement de tous et de la volonté de chacun de trouver un chemin commun. En bonne scandinave d’origine que je suis, je reste convaincu que le compromis n’est pas la compromission”.
Des paroles suivies par une profession de foi “dans la démocratie sociale et les partenaires sociaux, organisations syndicales comme patronales” : “Sur tout le territoire, ils ont des choses à dire sur la réalité du monde du travail, ils ont un rôle prépondérant à jouer. Les liens se sont parfois distendus ces dernières années, je m’emploierai à les restaurer et à les consolider”.
Une écoute qu’elle promet également aux parlementaires afin de trouver des “majorités de compromis”. De quoi renouer le dialogue avec le monde syndical ? La réponse sera connue très bientôt, puisque les organisations syndicales attendent le discours de politique générale de Michel Barnier le 1er octobre pour envisager la suite de l’intersyndicale nouée au moment des retraites…
De façon assez habile, la nouvelle ministre du travail et de l’emploi demande à n’être jugée ni sur sa capacité à obtenir des crédits supplémentaires, ni sur une loi à laquelle elle laisserait son nom. Elle souhaite que les changements politiques qu’elle compte impulser soient évalués au prisme de la réalité des changements vécus par les travailleurs. Il faut dire que le ministère du travail et de l’emploi est promis à des économies budgétaires présentées comme inéluctables par Bercy (voir notre article sur les dossiers sociaux qui attendent le gouvernement Barnier).
Un peu à la manière d’une Muriel Pénicaud, la nouvelle ministre du travail s’est décrite comme une femme “venant du monde de l’entreprise”, l’entreprise devant être “un producteur de prospérité et de fierté collective avec ses opportunités et ses contraintes que je connais bien”. Mais elle a aussi évoqué, via des parcours de personnes qu’elle a rencontrées, des éléments plus humains et sociaux, comme la quête d’un nouvel emploi d’une femme de plus de 50 ans, la difficulté de deux aides à domicile de vivre de leur métier, ou encore le collectif contre les morts au travail fondé par des proches d’un jeune salarié…
Auparavant, Catherine Vautrin, qui n’aura donc été que huit mois ministre du travail, de l’emploi et de la santé, a dit sa “fierté” du travail accompli. Un peu à l’image du discours de Gabriel Attal, mais de façon plus humble, elle a rappelé quelques actions conduites ou initiées par son ministère :
- le lancement et l’extension de l’expérimentation de l’accompagnement des bénéficiaires du RSA (47 départements concernés) ;
- la bonne tenue des Jeux olympiques et paralympiques de Paris notamment, a-t-elle souligné, “grâce à France Travail” ;
- l’acquis de la charte sociale des JO, “qui a permis d’éviter des accidents du travail et qui sera une référence pour les grandes manifestations” ;
- la poursuite de l’augmentation du nombre d’apprentis en France, l’objectif d’un million d’apprentis en 2027 lui semblant toujours “atteignable” (malgré la baisse des aides de l’Etat aux entreprises) ;
- le lancement du chantier d’une plus juste rémunération du travail “et la lutte contre la stagnation salariale” ;
- la lutte contre les accidents du travail ;
- la réforme de l’assurance chômage “pour contribuer au plein emploi en améliorant le taux d’emploi des seniors”, etc.
Du côté de la santé et de l’égalité femmes/hommes |
La nouvelle ministre de la santé, la médecin Geneviève Darrieussecq, a fait sienne la priorité donnée à la santé mentale par Michel Barnier, et a insisté sur l’accès au soin. Tout en prévenant : “Le PLFSS (projet de loi de financement de la sécurité sociale), nous allons nous y atteler, mais je vous le dis tout de suite, je ne suis pas une fée, je ne ferai pas de miracle (…) Tout le monde doit travailler ensemble pour relever les défis”. Paul Christophe, qui venait d’être élu président de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale dont il était membre depuis sept ans, est donc le nouveau ministre des solidarités et de l’égalité entre femmes et hommes, ce dossier étant confié à la secrétaire d’Etat Salima Saa. Il a affirmé vouloir poursuivre “la stratégie nationale des proches aidants 2023-2027” et a insisté sur le fait que son ministère serait aussi celui du handicap : “Les progrès réalisés dans l’accessibilité des personnes en handicap lors des Jeux paralympiques doivent être un tremplin pour l’avenir”. Concernant l’égalité femmes/hommes, dans une allusion au procès de Mazan et à la soumission chimique, Salima Saa a évoqué la nécessité de combattre les violences sexistes et sexuelles, et a assuré vouloir travailler pour une égalité réelle dans le monde de l’entreprise entre les femmes et les hommes, y compris dans les instances de direction . “Je serai intraitable dans la lutte contre les stéréotypes, a-t-elle promis. J’y ai souvent été confrontée, pendant ma jeunesse dans le Nord, dans l’entreprise en région parisienne, dans les quartiers prioritaires quand j’étais présidente de l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances, ou lorsque j’étais préfète en Lozère”. |
Cet article provient du site Editions Législatives - ActuEL RH