Plus de trois mois après la dissolution surprise de l’Assemblée nationale, Michel Barnier a nommé, samedi soir, son gouvernement de 39 ministres dont l’équilibre se situe autour de la majorité présidentielle (13 personnes) et du parti Les Républicains (13 également ainsi que 3 qui en sont issus mais n’en font plus partie). Par ailleurs, 2 appartiennent au camp Horizons, 3 au parti UDI (Union des démocrates et indépendants, placé au centre-droit). Enfin, 3 viennent des rangs du Modem, un du Parti Radical et un du Parti Socialiste. On note également que l’ancien “super-ministère” de Catherine Vautrin, regroupant le travail, la santé et les solidarités, est cette fois-ci découpé entre plusieurs ministres. Le ministère du travail et de l’emploi revient à Astrid Panosyan-Bouvet, la santé et l’accès aux soins à Geneviève Darrieussecq.
Astrid Panosyan-Bouvet, 53 ans, députée Ensemble pour la République (majorité présidentielle) dans la 4e circonscription de Paris de juin 2022 à juin 2024, a figuré d’emblée sur la liste proposée par Michel Barnier jeudi 19 septembre au président de la République. Issue du Parti Socialiste qu’elle quitte dans les années 2000, elle conseille Emmanuel Macron lorsqu’il occupe le ministère de l’économie de 2014 à 2016. Fidèle depuis les débuts donc, elle se tient à ses côtés lors de la fondation d’En Marche, son “mouvement” créé spécialement pour l’élection présidentielle de 2022.
On ne pourra pas l’accuser d’être “restée au chaud” dans les couloirs de l’administration : Astrid Panosyan-Bouvet a aussi forgé son profil dans de grandes entreprises.
Cette surdiplômée s’est formée à HEC (Haute école de commerce), à Sciences Po et à la Harvard Kennedy School of Government. Elle occupe ensuite des postes de direction dans des groupes majeurs, notamment dans le secteur des assurances (Axa, Groupama) et de l’immobilier (Unibail). Voilà de quoi lui coller une étiquette “DRH compatible”. Il reste à voir si elle s’entendra avec les syndicats qui revendiquent toujours l’abrogation de la réforme des retraites et l’abandon de la réforme de l’assurance chômage. Sur ce point, la nomination d’Astrid Panosyan-Bouvet pourrait leur fournir un appui. Elle devra aussi reprendre les dossiers de la formation professionnelle alors que l’ébauche de budget prévoit une baisse des crédits de son ministère (- 2,3 milliards d’euros).
Peu connue du grand public, elle s’était cependant détachée de la philosophie de Renaissance en s’exprimant contre le projet de réforme de l’assurance-chômage. On retrouve facilement ses prises de position puisque Astrid Panosyan-Bouvet les a publiés sur les réseaux sociaux. Dans une série de tweets du 6 avril 2024, elle indique :
- “une nouvelle réforme de l’assurance chômage ne semble pas être le levier pour augmenter le taux d’activité aujourd’hui. Il y va aussi de la formation, de la rémunération, de l’attractivité des métiers, des seniors” ;
- “l’urgence n’est pas de réformer l’assurance chômage mais de rendre attractifs les métiers qui ne le sont pas”.
Elle défend donc une “approche globale” de la question du chômage mais montre souvent son opposition farouche aux 35 heures et semble méfiante sur la semaine de quatre jours. On peut lire dans l’un de ses tweets du 29 mars 2024 : “Expérimentons la semaine en/sur/de 4 jours comme en Grande-Bretagne ou en Irlande, mais n’en faisons pas une application uniforme comme les 35h. Et elle n’exonère pas d’une réflexion sur l’organisation du travail : le diagnostic sur un besoin d’autonomie, d’écoute et de reconnaissance est partagé”.
Une inconnue demeure : quelles seront les véritables marges de manœuvre de la ministre ? Elle rencontrera sans aucun doute les représentants des confédérations mais devra choisir sur quels dossiers lâcher du lest et sur lesquels rester dans la ligne des réformes précédentes.
Les syndicats auront aussi maille à partir avec Guillaume Kasbarian, nommé ministre de plein exercice de la fonction publique, alors que les sujets du licenciement des fonctionnaires, de leurs salaires, de l’application de la réforme des retraites et du statut unique de la fonction publique avaient déjà créé de nombreuses tensions avec le ministre précédent, Stanislas Guérini. Considéré comme très libéral, Guillaume Kasbarian risque de fermer davantage de portes qu’Astrid Panosyan-Bouvet alors que les mécontentements grondent, en particulier dans les écoles, les transports et hôpitaux publics.
On note également deux grandes premières dans ce gouvernement. Marie-Agnès Poussier-Winsback est nommée ministre déléguée chargée de l’économie sociale et solidaire mais également de l’intéressement et de la participation. Ces dispositifs seraient-ils remis sous les projecteurs après la loi sur le partage de la valeur du 29 novembre 2023 ? Cette création pourrait également passer pour une volonté de pousser ces mesures au détriment des hausses de salaires.
Autre nouveauté, une secrétaire d’Etat chargée de l’intelligence artificielle : Clara Chappaz. L’IA ne manque pas d’agiter le monde du travail, elle pose questions sur son organisation, le remplacement des tâches, le dialogue social technologique. Issue du monde des start-up, elle a notamment dirigé la mission “French Techs” de Bercy ces dernières années.
Marc Ferracci est nommé ministre délégué en charge de l’industrie. Cet ami personnel d’Emmanuel Macron était député Renaissance des Français de la Suisse et du Liechtenstein depuis 2022. Economiste de formation et spécialiste du travail, c’est aussi un ancien conseiller de Muriel Pénicaud, ministre du travail de 2017 à 2020, et de Jean Castex, Premier ministre de 2020 à 2022. Marc Ferracci a donc participé à l’élaboration des ordonnances travail et de la première réforme de l’assurance-chômage. Parmi ses prises de positions récentes, il a défendu une prime à l’emploi pour les seniors et des testings anti-discrimination à l’embauche.
Enfin, le président de la Commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, Paul Christophe, a quitté son poste pour devenir ministre des solidarités, de l’autonomie et de l’égalité entre les femmes et les hommes. Il est assisté sur ces dernières missions par Salima Saa, secrétaire d’Etat chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes. Il lui reviendra donc de se pencher sur les modifications de l’Index d’égalité professionnelle promises par Elisabeth Borne lors de la conférence sociale d’octobre 2023. Paul Christophe a par ailleurs indiqué samedi soir qu’il s’occuperait également des sujets relatifs au handicap.
Il reste désormais à observer les propos échangés lors des passations de pouvoir entre les ministres qui vont avoir lieu aujourd’hui. Un Conseil des ministres est également prévu à 15 heures. Enfin, Michel Barnier devrait prononcer son discours de politique générale début octobre. Rappelons que le gouvernement a devant lui une épreuve du feu : l’examen du budget devant l’Assemblée nationale repoussée au 9 octobre.
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Cet article provient du site Editions Législatives - ActuEL RH