Sur le principe, est-il juridiquement possible de recruter en tant que salarié un prestataire ?
Nous parlons ici du cas d’un employeur qui recourt à un prestataire de service et qui souhaite ensuite embaucher ce dernier, en dehors de toute situation de transfert de marché. Deux hypothèses sont alors à distinguer :
- le prestataire est un indépendant ou le dirigeant de sa propre structure juridique.
Ce peut être un entrepreneur individuel ou un gérant d’EURL/président de SASU par exemple. Dans cette configuration, et sauf disposition contractuelle contraire, rien ne s’y oppose dans les textes à ce que l’employeur le recrute. L’embauche se fera alors selon les règles de droit commun.
- le prestataire est un salarié d’une société de service avec laquelle l’employeur avait contractualisé la réalisation d’une prestation.
Aucun texte général n’interdit non plus de recruter le salarié concerné mais il n’en reste pas moins que ce projet requiert la plus grande prudence. Parce que cela pourrait constituer un acte de concurrence déloyale en usant de manœuvres frauduleuses pour notamment détourner des savoirs faire tout d’abord, mais aussi car il y a un risque certain que l’employeur ne respecte pas des dispositions contractuelles qui pourraient s’opposer à cette embauche.
A quelles dispositions contractuelles l’employeur doit-il prêter attention s’il veut embaucher un prestataire déjà salarié ?
Dans le cas d’un prestataire salarié d’une société de service, les clauses de non-concurrence et de sollicitation, si elles existent, peuvent poser des difficultés. Si la première est présente dans le contrat de travail liant le salarié à la société de prestation de service, la seconde se trouve dans le contrat conclu entre les deux sociétés et elle a pour objet d’interdire le débauchage. La distinction entre ces deux clauses est alors essentielle puisque la seconde a précisément pour but d’éviter que le client n’embauche un salarié du prestataire.
Quels contours pour ces deux clauses donc ? Un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 11 juillet 2006 est éclairant en la matière. Dans cette affaire, des associés s’étaient partager l’activité de leur société en se réservant des zones d’influence et en faisant en sorte que ni eux ni les salariés ne puissent passer de l’une à l’autre. Des clauses de non-sollicitation et de non-concurrence avaient, dans ce but, été ajoutées dans les actes de cession de parts et les contrats de travail mais une ancienne salariée d’une des zones d’influence avait tout de même été embauchée dans une autre. Les juges du fond avaient retenu que si la clause de non-concurrence vise un secteur d’activité bien déterminé, la clause de non-sollicitation, qui n’en est qu’une variante ou une précision, ne peut s’appliquer que sur ces secteurs déterminés et sur les territoires réservés de sorte que, le second employeur exerçant son activité dans un lieu non visé par la clause de non-concurrence, il n’avait pas enfreint la clause de non-sollicitation. Ce raisonnement n’a pas été suivi par les juges de la Cour de cassation qui estiment eux que la clause de non-sollicitation “ne constitue pas une clause de non-concurrence dont elle n’est ni une variante, ni une précision”. En dissociant les deux, ils insistent sur le fait que, dans le cas de la clause de non-concurrence, l’obligation est à la charge du salarié, alors que dans le cas de la clause de non-sollicitation, elle est à la charge du client.
► Rappelons que même s’il faut différencier les deux, une clause de non-sollicitation peut, tout comme la clause de non-concurrence, causer un préjudice au salarié comme l’atteste par exemple un arrêt du 2 mars 2011. Constatant qu’un salarié n’avait pas pu être embauché pendant près d’un an et demi du fait de l’exécution d’une clause de non-sollicitation conclue entre son ancien employeur et la société cliente, la Cour de cassation a jugé que ladite clause avait porté atteinte à la liberté de travailler du salarié et que l’employeur devait en conséquence l’indemniser du préjudice subi via le paiement d’une somme à titre de dommages-intérêts
Y a-t-il d’autres points sur lesquels il faut être vigilant lors du recrutement ?
Une fois que la problématique des clauses contractuelles en jeu a été résolue, deux autres questions pratiques peuvent notamment se poser. Concernant l’ancienneté en premier lieu, la période de prestation doit-elle être prise en compte si l’on embauche un prestataire de service ? Le code du travail ne prévoit pas une telle obligation. Cependant, si cette possibilité est envisagée, il faut tenir compte du fait qu’en cas de contentieux cela pourrait constituer un indice de l’existence non pas d’une prestation de service mais bien d’une relation salariale pendant cette période.
Concernant la période d’essai enfin, faut-il prendre en considération la période de prestation pour en déterminer la durée ? A nouveau, rien n’est indiqué dans les textes sur ce point. On peut toutefois rappeler que la durée de la période d’essai est librement fixée par les parties dans le contrat de travail, dans la limite de la durée maximale légale et des dispositions conventionnelles. En cas de contentieux, ce sera au juge d’apprécier la situation.
Cet article provient du site Editions Législatives - ActuEL RH