L’intelligence artificielle représente une opportunité pour les cadres, sous conditions…


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Selon un sondage de l’Apec (Association pour l’emploi des cadres) en mai 2024, 50 % des cadres réclament des formations en IA. Parmi les cadres de moins de 35 ans, 53 % ont déjà utilisé des outils d’intelligence artificielle dans le cadre de leurs missions professionnelles et le chiffre baisse à mesure que l’âge augmente : les 35-54 ans ne sont que 38 % dans ce cas, et les plus de 55 ans ne sont que 31 %.

Les cadres identifient également des bénéfices aux systèmes d’IA :

  • des gains de productivité et d’efficacité (90 %) ;
  • une amélioration de la qualité du travail (82 %) ;
  • le fait de trouver de nouvelles idées (79 %) ;
  • le fait de réaliser de nouvelles tâches (62 %).

L’Apec note également une baisse de l’inquiétude des cadres au sujet de l’IA : en mai 2023, 30 % d’entre eux considéraient l’IA comme un danger contre 21 % en mai 2024.

L’IA représente-t-elle aujourd’hui un atout ou une menace pour l’emploi et le travail des cadres ? Quels seront ses effets sur leurs tâches ? L’IA fait-elle peser un risque de discrimination à l’embauche des cadres qui ne seront pas parvenus à s’adapter ? De quelle manière l’IA impactera-t-elle les missions des directions de ressources humaines dans le recrutement et/ou le licenciement des cadres ?

Une table ronde organisée lundi 23 septembre par l’Association des journalistes de l’information sociale (Ajis) a proposé un tour d’horizon de ces sujets avec Claire Abate, avocate chez AC Legal Avocats, Eric Peres, secrétaire général de la fédération des cadres Force Ouvrière, et Cyril Cuenot, associé au cabinet Sia Partners et responsable de l’activité RH et Transformation. Tous les trois l’affirment : l’IA représente une opportunité pour les cadres à condition de s’y former et de développer un dialogue social encore trop limité pour l’instant.

Un recentrement du rôle du cadre

Comme pour les métiers peu qualifiés, l’IA va moderniser les tâches. Elle conduira à l’effacement de certains métiers et à la création de nouvelles perspectives d’emploi.

Concernant les cadres, selon Cyril Cuenot, “l’automatisation des tâches à faible valeur ajoutée constituera sans conteste une opportunité, elle va apporter du prédictif dans l’activité et réduire le reporting au profit des missions de management, d’encadrement d’équipes”. Pour le consultant de Sia Partners, l’IA pourra également fournir des données plus fiables, ce qui alimentera la capacité à prendre de meilleures décisions. Certes, l’emploi en termes de marché connaîtra des bouleversements mais “pour l’instant, l’IA constitue un appui, une aide, un accélérateur. On n’en est pas encore à la substitution. Il faut cependant une prise de conscience, en particulier dans les PME et entreprises de taille intermédiaire”.

Pour FO, il faut définir sa finalité, sa proportionnalité et sa loyauté

Eric Peres, secrétaire général de la fédération des cadres de Force Ouvrière, considère également l’IA comme une opportunité, y compris au niveau syndical car “c’est l’occasion de construire de nouveaux outils de défense des salariés”. Il développe par ailleurs une réflexion sur les questions à se poser sur l’implémentation des systèmes d’IA dans l’entreprise : “Il faut impérativement s’interroger sur la finalité de l’outil : s’agira-t-il d’accaparer l’expertise des cadres, d’intensifier le travail, de rechercher toujours plus de rentabilité ? On voit ici les capacités d’éviction de l’IA. Les cadres devraient par ailleurs avoir accès aux paramètres de l’outil afin de l’utiliser tout en valorisant ou en annulant certains de ses aspects. La deuxième question à se poser portera sur la proportionnalité : l’outil permet-il ou non de remplir de manière proportionnelle l’objectif de départ ? Enfin, il faudra en examiner la loyauté car on ne peut envisager un dispositif intégré dans l’entreprise sans présentation ni travail en commun avec les salariés et leurs représentants. Si on retrouve ces trois points, alors on pourra développer une IA éthique, responsable et liée au travail réel”.

Un cadre juridique suffisant pour l’instant

Claire Abate adopte aussi une vision de l’IA comme opportunité, d’autant que le droit français lui semble pour l’instant suffisant : “Le cadre juridique existe déjà : le code du travail prévoit des règles pour éviter par exemple la discrimination à l’embauche par des systèmes d’IA. En revanche, il faudrait peut-être revoir les échéances de l’entretien professionnel tous les deux ans vue la vitesse de déploiement de l’IA”.

A ce jour, l’avocate n’observe pas d’émergence de nouvelles clauses du contrat de travail relatives à l’IA mais reconnaît que l’intelligence artificielle pourrait créer un contentieux nouveau dans les prochaines années, notamment autour du licenciement pour mutation technologique.

Le criant besoin de formation

Les cadres ne demandent qu’à se former sur l’intelligence artificielle, mais faut-il viser des contenus purement informatiques ? Non, selon Cyril Cuenot : “Les cadres ont besoin d’une sensibilisation poussée aux impacts de l’IA, sur ce qu’elle va générer dans l’entreprise et sur les métiers, sur l’évolution de ses compétences”. Le consultant observe une forte hausse des demandes de formation à l’IA, notamment en formations spécifiques à certains outils comme CoPilot, l’IA développée par Microsoft. Il note également une autre tendance : “Les entreprises veulent former les salariés à partir de cas d’usage, à savoir apprendre à structurer des pratiques dans l’environnement de l’entreprise auprès des salariés et sur leurs tâches opérationnelles, la logistique ou des fonctions support par exemple”.

Sur le terrain de la formation syndicale, Eric Peres recommande également des formations répondant à un usage précis et pointe les besoins aussi bien chez les salariés que chez les dirigeants d’entreprise : “C’est l’une des raisons pour lesquelles il est très difficile de développer un dialogue social sur ces sujets aujourd’hui, y compris au Medef pour les négociations interprofessionnelles. L’IA figure à l’agenda autonome des partenaires sociaux mais nous observons une grande fragilité des directions et un manque de maîtrise des sujets”.

Seulement 7 CSE sur 10 sont consultés sur l’IA

Pour Cyril Cuenot, le fait que les entreprises se mettent en veille sur le sujet de l’IA constitue déjà un point positif. “Mais il faudrait aller plus loin pour l’intégrer dans le dialogue social dans les relations entre directions, managers, syndicats et salariés. Dans chaque processus d’information-consultation, l’IA devait être intégrée de manière visible et structurée, c’est essentiel vu les niveaux de rupture qu’elle va créer sur les organisations”.

Seulement voilà, Eric Peres pointe que seulement 7 CSE sur 10 sont consultés régulièrement sur l’intelligence artificielle. “De plus, l’employeur a tendance à présenter l’IA comme une nouvelle couche logicielle, une évolution normale des outils existants qui ne nécessite pas de consultation du CSE”. Il recommande donc de lier les informations consultations du CSE au cycle de vie des données et donc tout au long de l’intégration de l’innovation technologique. “Il n’est plus question aujourd’hui de consulter au point d’entrée et au point de de sortie à un instant T puisque l’IA évolue tout le temps. Nous revendiquons donc à Force Ouvrière des comités de supervision en amont et en aval du déploiement de l’IA, ainsi qu’une étude d’impact systématique et une réversibilité de l’IA dans l’entreprise”.

 

Le DRH remplacé par l’IA ? Pas si vite !

Cyril Cuenot, responsable de l’activité RH et Transformation au cabinet SIA Partners, ne croit pas à l’hypothèse d’un DRH qui serait remplacé par des systèmes d’IA effectuant à sa place la gestion des ressources humaines : “Certes, pour lire entre les lignes d’un CV et prévoir les évolutions de compétences, l’IA est redoutable. Elle peut également mieux planifier les effectifs d’une usine, mais le DRH va être la tour de contrôle pour en maîtriser les impacts. Son rôle va se développer dans les comités exécutifs et les comités de direction où il va devenir un partenaire stratégique beaucoup plus important”.

En revanche, dans l’équipe du DRH, le consultant observe que les collaborateurs craignent pour leur emploi. D’où le nécessaire investissement en formation selon Claire Abate, avocate chez AC Legal Avocats : “Ça ne sert à rien de se cacher derrière son petit doigt. Il vaut mieux s’emparer du sujet et le maîtriser plutôt que de se laisser dépasser”.

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Marie-Aude Grimont
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L’intelligence artificielle a commencé son grand bouleversement du monde du travail et les cadres n’y échappent pas. S’ils la voient de moins en moins comme une menace, ils devront se former à cette nouvelle technologie pour en tirer tous les bénéfices, sous peine de décrocher en termes d’employabilité. Autre condition pour une IA sereine : que les directions des entreprises impliquent les syndicats et les élus de CSE dans un dialogue social constructif.
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Cet article provient du site Editions Législatives - ActuEL RH