Les rendez-vous avec les organisations syndicales et patronales ont enfin commencé à Matignon. Après la nomination complète du gouvernement samedi 21 septembre, Michel Barnier a entamé un cycle de rencontres avec les représentants des organisations syndicales, la ministre du travail Astrid Panosyan-Bouvet entendant “restaurer les liens”. La CFDT et le Medef ont ouvert le bal, mardi à l’Hôtel de Matignon à Paris, suivi de la CGT et de la CFE-CGC hier. L’U2P, la CPME et la CFTC sont attendues aujourd’hui.
Pour Marylise Léon, le sujet du manque de moyens des élus du personnel “fait partie des enjeux de démocratie au travail”. C’est pourquoi elle a rappelé au Premier ministre que les rapports du comité d’évaluation des ordonnances Macron avaient documenté les conséquences néfastes de la réforme pour la représentation du personnel. “Le pari des ordonnances de 2017 est perdu puisqu’il s’agissait d’améliorer la qualité du dialogue social. Or, malgré les bilans négatifs des ordonnances, la seule réponse des gouvernements précédents a été de supprimer le comité d’évaluation”.
Le document (en pièce jointe) remis par Marylise Léon à Matignon comprend deux pages sur le dialogue social. On y retrouve certaines revendications déjà exprimées par la CFDT comme la suppression de la limitation à trois mandats successifs, la systématisation des représentants de proximité (RP), une commission santé sécurité conditions de travail (CSSCT) à compter de 50 salariés au lieu de 300, un allongement des délais de consultation, une hausse des heures de délégation, la montée en compétence des élus suppléants, un avis conforme du CSE ou encore la valorisation du parcours professionnel des élus.
S’y ajoutent la proposition de rendre obligatoire la négociation de la base de données économique sociale et environnementale (BDESE) sous peine de sanctions, une restriction du champ des textes unilatéraux validés par référendum (par exemple en exigeant une régulation ou un contrôle social externe à l’entreprise et/ou en excluant certains thèmes de cette modalité de validation) ainsi que la consultation obligatoire du CSE sur les conséquences d’un accord de rupture conventionnelle collective (RCC) sur les conditions et l’organisation du travail.
S’agissant des salaires et le pouvoir d’achat, Marylise Léon a précisé que “s’il devait y avoir une conférence sociale sur les salaires, il faudrait s’assurer qu’il y ait des débouchés extrêmement concrets et notamment des annonces sur la question des exonérations de cotisations pour les bas salaires et des engagements fermes sur l’égalité salariale entre les hommes et les femmes par exemple”. Elle réclame également “l’organisation d’une conférence des parties (COP) relative à l’organisation du travail”.
Sur l’assurance chômage, elle souhaite l’ouverture de nouvelles “négociations flash de quelques semaines sur l’emploi des seniors pour compléter l’accord de 2023 et éviter que la réforme laissée par Gabriel Attal sur le bureau du Premier ministre n’entre en vigueur”.
Concernant les retraites, elle a rappelé son refus des 64 ans : “S’il doit y avoir une réouverture des discussions, il faut que la question des 64 ans soit a minima levée, suspendue, et qu’on puisse aborder les sujets liés à la situation des polypensionnés, aux carrières des femmes et à la pénibilité”. Michel Barnier ne lui a cependant donné aucune garantie.
Reçu juste après Marylise Léon, le président du Medef a réagi aux propositions de la CFDT : “La refonte des ordonnances de 2017 sur le CSE n’est pas l’urgence du moment même si je sais que le sujet existe. Il nous arrive d’en discuter avec les organisations syndicales mais je crois que les sujets sur lesquels on doit se pencher autant que possible avec l’Etat et les autres partenaires sociaux sont des sujets à retentissements financiers comme les retraites, l’assurance chômage et les seniors”. Sur les impôts, il a renouvelé sa position déjà exprimée dans les médias : oui à une contribution exceptionnelle et extrêmement limitée de certaines grandes entreprises à condition de revoir drastiquement les dépenses publiques.
Sophie Binet, la secrétaire générale de la CGT, a demandé hier un changement de cap économique et social, avec dans l’immédiat un “coup de pouce” du Smic. “Si vous ne revalorisez pas le Smic au 1er octobre, vous serez responsable d’une nouvelle perte de pouvoir d’achat des salariés”, a-t-elle lancé au Premier ministre. La syndicaliste réclame également à Michel Barnier une indexation des salaires sur les prix ainsi que l’abandon d’un nouveau durcissement de l’assurance chômage.
Elle s’est dite aussi opposée aux baisses de cotisations sociales présentées par l’exécutif et certains parlementaires comme un moyen de revaloriser le salaire net des salariés : “Pour la CGT, il ne peut être question d’augmenter le salaire net en baissant le salaire brut puisque le salaire brut garantit nos droits de demain, comme la protection contre le chômage, nos droits à la retraite et à la sécurité sociale”.
Ces exigences sociales, estime la responsable CGT, doivent être appuyées par les salariés lors de la mobilisation du 1er octobre, d’autant, dit-elle, que le ton général de l’exécutif a déjà évolué : “Il y a quelques semaines, le gouvernement tentait de nous imposer une réforme violente de l’assurance chômage, il refusait de reparler de la réforme des retraites, et j’observe que la donne a déjà changé grâce à nos mobilisations”.
Concernant les institutions représentatives du personnel, la chef de file de la CGT continue de revendiquer le rétablissement du CHSCT.
Sophie Binet réclame au gouvernement d’imposer un “moratoire” sur ces licenciements, “grâce au dispositif d’APLD” précise le document de la CGT remis au Premier ministre (en pièce jointe). Le syndicat avance l’idée d’une table ronde sur la filière automobile “pour forcer les constructeurs à prendre leurs responsabilités”.
La CGT met également en avant de nouveaux droits pour les représentants de salariés afin de “peser sur les orientations stratégiques” des entreprises.
Outre un relèvement du nombre des salariés dans les conseils d’administration, la chef de file de la CGT demande une conditionnalité des aides publiques aux entreprises (“les entreprises bénéficient chaque année de 170 à 220 milliards d’euros d’exonérations fiscales et sociales. Il y a là un levier d’économies à regarder !”). Autrement dit, les représentants du personnel pourraient donner un avis conforme pour l’utilisation de ces aides : “Le Premier ministre recherche des économies, nous sommes prêts à l’aider dès lors qu’on permet la suspension des aides publiques dès lors que les entreprises ne les utilisent pas pour la recherche ou l’investissement”.
Enfin, Sophie Binet suggère l’ouverture d’une négociation sur les temps partiels “pour améliorer la situation des femmes à temps partiels en majorant leurs heures complémentaires au niveau des heures supplémentaires”.
N’est-ce pas l’affaire des partenaires sociaux ? “Aujourd’hui, la négociation salariale est bloquée dans les branches comme dans les entreprises. Le gouvernement doit prendre ses responsabilités en augmentant le Smic et en conditionnant les aides publiques à la négociation d’accords salariaux”, répond-elle.
Enfin, la CGT a bien relevé la volonté du Premier ministre et de sa ministre du travail « d’aménager » la réforme des retraites, et elle est prête à discuter “pénibilité” et “égalité entre les femmes et les hommes”, mais, prévient Sophie Binet, “il n’y a pas d’autres solutions que d’abroger cette réforme (..) imposée sans vote de l’Assemblée nationale et contre la mobilisation de millions de salariés”.
A la sortie de son entretien à Matignon, le président de la CFE-CGC, François Hommeril, s’est montré assez “optimiste” sur la suite des relations entre le nouveau gouvernement et les partenaires sociaux : “Cela s’est très bien passé (…) Nous avons l’impression qu’un changement de cap dans la façon de gouverner est peut-être possible”, a-t-il affirmé.
François Hommeril, qui a eu souvent la dent dure pour les gouvernements précédents, estime que Michel Barnier “semble vouloir restaurer une forme de confiance entre le gouvernement et les partenaires sociaux” en “rouvrant des espaces aux partenaires sociaux”. Reste à savoir si cela se concrétisera en matière d’assurance chômage avec un retour à une certaine autonomie des partenaires sociaux.
La confédération a réaffirmé sa demande d’une abrogation de la réforme des retraites et s’est dit prête à contribuer à faire des propositions pour un meilleur taux d’emploi des seniors.
Le syndicat des cadres souhaite par ailleurs une révision des ordonnances de 2017 avec une restauration des CHSCT : “Nous avons bien vu qu’au plus fort de la crise du Covid de mars à mai 2020, les entreprises ont recréé pour la circonstance les conditions de dialogue qui existaient avant avec le CHSCT (…) Aujourd’hui, nous assistons à une dégradation de l’accidentologie et de la prévention dans les entreprises et nous faisons un lien direct entre cette évolution et la disparition du CHSCT”.
Cet article provient du site Editions Législatives - ActuEL RH