Le Défenseur des droits est compétent pour traiter les réclamations des victimes de harcèlement sexuel au titre de sa mission de lutte contre les discriminations. Il peut demander une autorisation à instruire au procureur de la République pour des faits donnant lieu à une enquête préliminaire ou de flagrance ou pour lesquels une information judiciaire est ouverte ou des poursuites judiciaires sont en cours. C’est dans ce cadre que le Défenseur des droits est intervenu dans l’affaire qui a donné lieu à la décision du 11 juillet 2024.
Une salariée engagée en tant que juriste au sein d’une grande entreprise exerce également des fonctions syndicales en tant que juriste au siège du syndicat. C’est dans le cadre de ses fonctions syndicales qu’elle estime avoir été victime de faits de harcèlement sexuel de la part d’un salarié travaillant à la trésorerie du syndicat. Ce dernier aurait tenu des propos à caractère sexuel “faisant référence à sa jupe en présence d’un autre collègue”. La salariée affirme également avoir été agressée sexuellement fin juillet 2019 par ce même salarié dans le local courrier mis à disposition du syndicat. Un fait qui lui sera rappelé par une collègue à laquelle elle s’était confiée alors qu’elle avait ensuite été victime “d’amnésie traumatique”.
Dans un premier temps, la salariée informe de ces faits le secrétaire général du syndicat qui décide d’éviter tout contact entre les deux salariés. Il estime toutefois que la salariée n’apporte pas d’éléments au soutien de ses accusations et ne donne pas d’autre suite.
Dans un second temps, la salariée se tourne vers sa société employeur et adresse un courrier à la direction de l’éthique.
Le 20 mai 2021, l’entreprise lance une enquête interne qu’elle confie à la direction de l’éthique et à une psychologue experte agréée auprès de la cour d’appel de Versailles. Sept auditions ont lieu en juin 2021. A l’issue de l’enquête, la société estime que le harcèlement sexuel allégué par la salariée n’a pas pu être prouvée. Elle décide néanmoins que les deux salariés ne doivent plus être en contact.
Toutefois, le Défenseur des droits estime que l’entreprise n’a pas respecté les règles applicables à une telle enquête.
La première faille est de taille puisque l’entreprise a procédé à une inversion de la charge de la preuve. En effet, aux termes de l’article L.1154-1 du code du travail, le salarié doit seulement présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement. Il incombe à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un harcèlement. “L’application de l’aménagement de la charge de la preuve doit conduire à rechercher des éléments de présomption d’un harcèlement et non des preuves irréfutables lesquelles peuvent être impossibles à rapporter par la victime”, souligne le Défenseur des droits.
Or, l’entreprise retient que la salariée “n’apportait aucune preuve tangible (ex. SMS, emails…) à l’appui de son signalement contrairement à celles produites par [le salarié objet de l’accusation] pour remettre en cause la version des faits de la plaignante”. L’entreprise “persiste à demander une preuve tangible à une salariée s’estimant victime de harcèlement sexuel en violation du principe d’aménagement de la charge de la preuve et en dépit des éléments recueillis lors de l’enquête interne”, constate le Défenseur des droits.
Par ailleurs, la manière dont l’enquête a été menée pose problème. Des “extraits du rapport montrent que l’approche adoptée par les enquêteurs a été d’ôter toute valeur probante aux témoignages, d’en ignorer purement et simplement certains passages, et de se focaliser sur une recherche de preuve au lieu des éléments de présomption, c’est-à-dire d’indices qui, pris dans leur ensemble, laissent présumer l’existence d’un harcèlement sexuel. Ces indices doivent être appréciés de façon globale et non séparément”. De potentiels témoins n’ont pas été entendus.
Autre reproche adressé à l’entreprise : “les conclusions de l’enquête ne sont pas cohérentes avec le contenu des auditions menées”. En effet, le fait de décider que les deux salariés concernés ne devaient plus “être en proximité” et que le syndicat devait “rappeler les bonnes pratiques relationnelles” est en contradiction avec l’absence de harcèlement sexuel constaté.
En outre, l’enquête a été déclenchée en mai 2021 avec des auditions menées en juin 2021 mais les conclusions n’ont été rendues qu’en février 2022. “Cette durée pourrait être considérée comme excessive en application de la jurisprudence…”.
Enfin, les conclusions de l’enquête auraient été données oralement lors d’une réunion.
Au vu de tout cela, le Défenseur des droits estime que l’employeur a manqué à son obligation de sécurité. Il appelle à “une amélioration des pratiques [de la société] compte tenu du nombre de ses salariés et de la gravité des faits”. En outre, en ne sanctionnant pas les salariés concernés l’entreprise a manqué à son obligation de sanction issue de l’article L.1153-6 du code du travail.
Cet article provient du site Editions Législatives - ActuEL RH