Intelligence artificielle : le dialogue social technologique reste balbutiant


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Qui aujourd’hui pourrait encore soutenir que le déploiement de l’intelligence artificielle en entreprise ne nécessite pas de dialogue social ? Une telle affirmation ferait vite l’unanimité contre elle. Les organisations syndicales ont fixé leur religion et édité des bibles sur le sujet depuis plusieurs mois, entre autres plaidoyers et manifestes. Des chercheurs de l’Ires (institut de recherche syndical) ou l’Icam (institut catholique d’arts et métiers, groupement d’écoles d’ingénieurs) ont participé à des réflexions communes avec d’autres parties prenantes. Rien n’y fait pourtant. Réunis par l’Agence nationale d’amélioration de conditions de travail (Anact) autour d’un webinaire, lundi 16 septembre, tous partagent un constat : le dialogue social technologique balbutie, il ne s’implante pas. Les intervenants ne manquent cependant pas de recommandations, aussi bien pour les représentants du personnel que pour les patrons.

De DiAG à DialIA : les projets fleurissent, pas les négociations

L’Anact ne peut que rester vigilante au développement de l’IA et à ses conséquences sur le monde du travail. “Nous avons lancé un appel à manifestation d’intérêt, avec l’Ires et l’Icam comme parties prenantes, et découvert une grande variété d’approches”, raconte Vincent Mandinaud.

Selon ce chargé de mission à l’Anact, chaque projet souhaitait reconfigurer le système de relations entre les acteurs. Il faut selon lui “continuer de délier les langues et déverrouiller les imaginaires autour du dialogue social car le sujet semble encore trop ‘touchy’, sensible et compliqué”. Autre impératif : articuler les niveaux de dialogue social à l’échelle de l’entreprise, du poste de travail et des tâches de chaque salarié : “Il faut intégrer les pratiques de régulation dans les usages quotidiens de l’IA, discuter un peu tout le temps partout et en développer la culture”.

Côté projets, les organisations syndicales ont aussi fait leur chemin. Cofinancé par l’Anact et coordonné par l’Ires, DialIA a été porté par quatre syndicats de salariés (FO-cadres, la CFDT, la CFE-CGC et l’Ugict-CGT). Un manifeste en accès libre sur Internet en est résulté. Selon Odile Chagny, chercheuse à l’Ires, “l’idée était de créer une grammaire commune et travailler sur des référentiels communs, à savoir décliner l’accord cadre européen de 2020 qui proposait une méthode de dialogue social encore inédite dans les pays. Cela a permis de se poser les bonnes questions et de mettre en avant la problématique fondamentale : on a besoin collectivement de maturité et d’acculturation chez les directions comme chez les représentants du personnel”.

Enfin, le projet DiAG a réuni l’Icam, l’Anact, le cabinet de conseil Plein Sens et la société de conseil Matrice. DiAG forme un dispositif complet d’accompagnement du dialogue social technologique, ciblé sur les conséquences de l’IA sur l’activité des salariés. D’après son site Internet, il “diagnostique l’automatisation potentielle des tâches professionnelles et sensibilise aux critères de responsabilité de l’IA au travail”. Selon Charly Pécoste, enseignant-chercheur à l’Icam de Toulouse, “nous nous sommes rendu compte du flou qui domine sur la manière d’aborder l’IA”. Cause de cette nébulosité : les annonces commerciales des sociétés technologiques souvent américaines qui vantent la sortie de leurs produits (voir notre encadré). La perception des acteurs se trouve biaisée alors que sur le terrain français, l’IA aujourd’hui reste faible : elle se limite à réaliser des tâches spécifiques”. Une chose est sûre : le dialogue social l’est tout autant.

Un manque de formation, de culture, de régulation

Selon Vincent Mandinaud (Anact), “le dialogue social technologique reste un sujet émergent dont on ne connaît pas bien les contours. Il faut donc les caractériser, avancer sur quelques projets phares pour éclairer les chemins. Les acteurs tâtonnent car les sujets sont complexes et techniques. Le dialogue social n’est pas toujours au rendez-vous sur d’autres sujets plus faciles à appréhender. Sans compter le débordement chronique des agendas. On voit donc une problématique de moyens autour du développement d’un langage et d’une culture en commun, permettant une expérimentation et une montée en compétence. Aujourd’hui, le dialogue social sur l’IA semble inabordable car trop compliqué”.

Responsable de la fédération des cadres de la CFDT et membre de la commission interministérielle sur l’IA, Franca Salis-Madinier relève également l’opacité de l’IA comme frein au développement du dialogue social : “Les moyens et les méthodologies d’introduction de l’IA ne sont pas suffisamment explicités, tout cella reste opaque. Sans volonté ni outils pour la challenger, beaucoup de choses peuvent passer inaperçues dans l’entreprise. De plus, l’IA n’est pas statique, elle évolue en permanence, il faut donc des leviers législatifs. A la CFDT, nous commençons à armer nos militants qui s’interrogent mais il faudra aussi orienter la régulation européenne sur ces sujets”.

Tout le patronat ne semble pas prêt

Franca Salis-Madinier pointe que “cette technologie offre autant d’opportunités que de risques, mais tout cela n’est pas prédéterminé : il faut l’orienter et le dialogue social constitue pour cela un contre-pouvoir essentiel pour dégager plus d’opportunités et réduire les risques”. Première chose à faire selon la syndicaliste : s’inscrire dans une finalité afin de ne pas laisser l’IA progresser seule dans l’entreprise. Les représentants du personnel pourront alors veiller à ce que l’IA complète les salariés mais ne les remplace pas. Ayant auditionné aussi bien les syndicats de patrons que de salariés, elle pointe que le patronat “ne semble pas très prêt et dit ne pas être très sollicité par les syndicats sur l’IA”. Elle en déduit un immense besoin de formation des deux côtés de la table.

La chercheuse de l’Ires Odile Chagny a également remarqué un décalage : “En tant que coordinatrice de DialIA, il me semble que les syndicats étaient très en avance sur plusieurs points par rapport au patronat sur la déclinaison et le déploiement d’un dialogue social adapté à ces enjeux”. Représentant de l’Unapl, rattachée à l’U2P (Union des entreprises de proximité) et représentant particulièrement des professions libérales, Serge Garrigou avance que son organisation a pourtant “engagé des réflexions”. “L’IA impacte beaucoup de professions libérales comme les médecins, les géomètres experts, les architectes, les traducteurs, les professions du droit, c’est un terrain propice aussi bien dans les TPE que dans des entreprises plus grandes avec des CSE” et reconnaît que “le dialogue social est à construire avec les bons outils”.

Qu’en pensent les salariés ? Ce n’est qu’un indice, mais l’union syndicale Unsa a sondé des salariés sur leur appréhension de l’intelligence artificelle. 38 % estiment que l’IA est une menace, 32 % qu’elle constitue un progrès et 30 % restent dans l’expectative. La publication de l’Unsa ajoute : “Par ailleurs si 49% des salariés disent ne pas être inquiets d’un risque de déclassement ou de remplacement par l’IA, 45% annoncent l’être mais seulement sur une partie de leur travail. L’expectative face à l’IA s’explique aussi par des entreprises ou des organisations qui n’ont pas encore abordé ce sujet selon la grande majorité des salariés interrogés”.

 

Strawberry, l’IA qui réfléchit ?

Une illustration des annonces fracassantes des entreprises de haute technologie : OpenAI a annoncé le lancement de Strawberry, une nouvelle version de ChatGPT qui serait capable de raisonner comme un humain. C’est du moins la présentation qui en était faite. Mais selon le média collaboratif français GénérationIA, s’il s’agit d’un “nouveau chapitre”, cette IA est encore loin de réfléchir comme nous : le modèle utilise la technique de “la chaine de pensée” en planifiant une forme de réflexion avant de fournir une réponse développée étape par étape en se corrigeant au fil du temps. Il ne s’agit cependant pas de raisonnement au sens où nous l’entendons communément : l’IA ne pense pas pour autant comme un humain. Par ailleurs, cette nouvelle version n’a été développée pour l’instant que sur les mathématiques, le codage informatique et les sciences.

 

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Marie-Aude Grimont
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Le dialogue social sur l’intelligence artificielle (IA) relève de l’évidence mais bredouille et hésite dans les entreprises. Tel est le constat de l’Anact qui a lancé divers projets sur le dialogue social technologique. Il faut encore démystifier bon nombre de sujets et “acculturer” les directions et les représentants du personnel. Sur le plan syndical, les organisations patronales semblent en retard.
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Cet article provient du site Editions Législatives - ActuEL RH