Un conducteur de bus de la RATP a fait l’objet d’un contrôle d’identité le 22 avril 2018 après sa journée de travail alors qu’il se trouvait sur la voie publique à bord de son véhicule en possession d’un sac contenant de la résine de cannabis. Quatre jours plus tard, les services de police ont transmis à l’employeur un rapport relatant ce contrôle, estimant qu’il était nécessaire de l’avertir en raison des risques générés pour la sécurité des voyageurs. La procédure pénale a finalement été classée sans suite par décision du procureur de la République le 13 juin suivant, l’infraction n’étant pas suffisamment caractérisée.
► Le test salivaire effectué sur place s’était avéré positif à la prise de cannabis, mais le test sanguin pratiqué par la suite s’était révélé négatif.
Le 29 juin, le salarié a été révoqué pour faute grave.
► Le salarié a été licencié pour “propos et comportements portant gravement atteinte à l’image de l’entreprise et incompatibles avec l’obligation de sécurité de résultat de la RATP tant à l’égard de ses salariés que des voyageurs qu’elle transporte”.
Il conteste son licenciement en justice et réclame la nullité de la rupture et sa réintégration au sein de l’entreprise.
Le conseil de prud’hommes requalifie le licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse.
La cour d’appel de Paris infirme le jugement et prononce la nullité de la révocation en raison de l’atteinte portée au droit fondamental de l’intéressé à sa vie privée, ordonne la réintégration du salarié et condamne l’employeur à lui payer une indemnité correspondant aux salaires qu’il aurait dû percevoir depuis son éviction jusqu’à sa réintégration effective.
Selon elle, les faits reprochés au salarié ne se rattachaient pas à sa vie professionnelle du seul fait qu’il avait fait état de sa profession lors du contrôle, et ils ne constituaient pas un manquement à une obligation contractuelle dès lors que le contrat de travail interdisait la prise de stupéfiants avant ou pendant le service mais pas après. Par ailleurs, la prise de stupéfiants n’avait pas en l’espèce été caractérisée, les tests s’étant révélés négatifs.
L’employeur conteste la nullité de la rupture, considérant qu’elle ne pouvait pas être encourue en l’absence de texte le prévoyant et à défaut de la violation d’une liberté fondamentale.
La Cour de cassation lui donne raison.
Elle rappelle tout d’abord qu’il résulte des articles L.1235-1, L.1235-2, L.1235-3 et L.1235-3-1 du code du travail que la rupture du contrat de travail à l’initiative de l’employeur n’ouvre droit pour le salarié qu’à des réparations de nature indemnitaire et que le juge ne peut, en l’absence de disposition le prévoyant et à défaut de violation d’une liberté fondamentale, annuler un licenciement.
Elle rappelle ensuite que le respect de la vie privée constitue bien une liberté fondamentale, conformément à jurisprudence du Conseil constitutionnel selon laquelle la liberté proclamée par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen implique le droit au respect de la vie privée.
Mais, en l’espèce, le motif de la révocation “était tiré de la vie personnelle du salarié sans toutefois relever de l’intimité de sa vie privée”. Le licenciement n’est de ce fait pas atteint de nullité en l’absence de la violation d’une liberté fondamentale.
La Cour de cassation considère par ailleurs que la révocation était fondée sur des faits de détention et de consommation de produits stupéfiants à bord du véhicule, constatés par un service de police sur la voie publique, étrangers aux obligations découlant du contrat de travail. Le licenciement pour un motif tiré de la vie personnelle du salarié est ainsi dépourvu de cause réelle et sérieuse.
► Il est de jurisprudence constante qu’un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut pas justifier un licenciement disciplinaire, sauf s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail (arrêt du 3 mai 2011).
Elle estime ainsi qu’un comportement du salarié sans rapport avec l’exécution de son contrat de travail, s’il relève de sa vie personnelle et n’est pas susceptible de constituer une faute, ne relève pas forcément de sa vie privée. En conséquence, un licenciement motivé par un fait de la vie personnelle n’est pas nécessairement attentatoire à la vie privée et n’est donc pas nécessairement susceptible d’être annulé s’il s’avère injustifié.
► Elle suit ainsi l’avis de l’avocate générale pour qui les propos et le comportement (usage et détention de stupéfiants) du salarié, intervenus dans le cadre de la vie personnelle du salarié, “ne s’étaient pas produits dans l’intimité de sa vie privée” et qui considère que l’analyse de la cour d’appel lui apparaît “pécher par confusion entre deux notions voisines mais distinctes qui n’emportent pas le même régime juridique”. L’avocate générale précise également que, selon la doctrine, le terme de vie privée “désigne une véritable liberté publique, devant être réservé à la protection du domicile, de la correspondance et de la vie sentimentale, c’est-à-dire à l’intimité de la vie privée”. Elle en conclut que tous les aspects de la vie personnelle du salarié ne relèvent pas de l’intimité de sa vie privée et ne sauraient s’analyser en une liberté fondamentale.
La RATP est condamnée à verser au salarié une indemnité compensatrice de congés payés, une indemnité compensatrice de préavis et des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, à lui remettre un bulletin de salaire conforme à la décision de la Cour et à rembourser aux organismes intéressés tout ou partie des indemnités de chômage versées dans la limite de six mois.
Cet article provient du site Editions Législatives - ActuEL RH