C’est dans une ambiance chahutée que le Premier ministre a tenu, hier après-midi, son discours de politique générale devant un hémicycle sans majorité. Un exercice d’équilibriste alors que la gauche prévoit de déposer une motion de censure. Pour préparer sa feuille de route, il avait reçu la semaine dernière les organisations patronales et syndicales.
Sur le volet social, le chef du gouvernement a égrené ses priorités, aux premiers rangs desquelles figure la question du pouvoir d’achat. Il a annoncé une revalorisation du Smic “de 2 % dès le 1er novembre par anticipation de la date du 1er janvier”. Le Smic net mensuel serait ainsi porté à environ 1 426 euros nets, contre 1 398,70 euros actuellement. Ce qui ne signifie pas un coup de pouce mais une avance sur l’augmentation prévue au 1er janvier 2025, soit deux mois avant.
Au passage, il a fustigé la situation de certaines branches professionnelles “dans laquelle les minima ne sont pas acceptables”. “Cela fera l’objet de négociations rapides. L’Etat s’y engage”, a-t-il promis.
Selon le dernier pointage du ministère du travail, transmis hier, 146 branches professionnelles (85 %) ont conclu un accord ou émis une recommandation patronale prévoyant un premier coefficient supérieur ou égal au Smic, applicable à compter du 1er janvier 2024. Mais 25 % des branches (15 %) affichent au moins un coefficient en deçà. Le sujet n’est pas nouveau et plusieurs tentatives ont été entreprises pour inverser la tendance. Dernière en date, le projet de loi annoncé par l’ancien ministre du travail, Olivier Dussopt, pour juin 2024. Lequel prévoyait de calculer les exonérations de cotisations sociales non pas sur la base du Smic, mais sur la base des minima de branche pour celles qui ne sont pas en conformité. Mais le texte est resté lettre morte.
Dans la lignée de Gabriel Attal, qui avait appelé à une “désmicardisation” de la société, le négociateur du Brexit a déploré que les “dispositifs d’allègements de charges freinent la hausse des salaires au-dessus du Smic” tout en promettant de “revoir les dispositifs”, mais sans donner plus de détail. Là encore, plusieurs travaux ont été initiés sur ce sujet dont ceux des économistes Antoine Bozio, et Etienne Wasmer, qui observaient, dans un rapport d’étape, en avril dernier, une “surconcentration” croissante des emplois dans une fourchette allant de 1 à 1,6 Smic où se regroupait l’essentiel des allègements. Avec à la clef, un phénomène de “trappes à bas salaires” voire des “trappes à promotions”.
Toujours sur le chapitre du pouvoir d’achat, le Premier ministre souhaite relancer la participation, l’intéressement et l’actionnariat salarié, “et pas seulement dans les grandes entreprises”, sans faire référence à la loi Pacte et à la loi sur le partage de la valeur, deux textes ciblés notamment en direction des PME.
L’ex-commissaire européen n’a pas éludé l’épineuse réforme des retraites, adoptée par 49-3 au printemps 2023. Il a invité les partenaires sociaux à reprendre le dialogue pour “corriger certaines limites de loi”, en particulier “la question des retraites progressives, de l’usure professionnelle et de l’égalité professionnelle qui mérite mieux que des fins de non-recevoir”. Il a toutefois posé ses conditions : que ces aménagements soient “raisonnables et justes” arguant qu’il est “impératif de préserver l’équilibre durable de nos systèmes par répartition”.
Appelant à un “renouveau du dialogue social”, il a ajouté qu’il faisait confiance aux organisations patronales et syndicales pour “négocier dès les prochaines semaines sur l’emploi des seniors et sur notre système d’indemnisation du chômage”. Reste à savoir quel sera le délai de cette négociation et surtout si un objectif d’économies figurera dans la lettre de cadrage. Lors des bilatérales avec Michel Barnier, le 26 septembre, François Asselin, le président de la CPME, avait exprimé ses craintes concernant un document trop “corseté”, c’est-à-dire extrêmement contraint en raison de la situation budgétaire.
Si le plein emploi reste un objectif affiché par le nouveau gouvernement, Michel Barnier a reconnu qu’il n’était pas “atteint”. Il compte donc s’appuyer sur les dispositifs existants pour y parvenir, notamment sur l’expérimentation Territoires zéro chômeur qui “donne des résultats”. Mais aussi sur l’accompagnement des allocataires du revenu de solidarité active (RSA) mené par France Travail. Car pour le Premier ministre, le RSA ne doit pas être uniquement un “filet de sécurité” mais bien “un tremplin vers l’insertion”.
Côté formation, il a eu un mot sur l’apprentissage, en appelant à “dépenser mieux” et à éviter les “effets d’aubaine”. Compte-t-il faire des coupes claires dans les aides aux entreprises ? Cette piste avait été évoquée dans la revue des dépenses, préparée par l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) et l’Inspection générale des finances (IGF), en septembre dernier. Les deux missions estimaient que “le soutien public à l’apprentissage dans l’enseignement supérieur [apparaissait] disproportionné au regard de ses effets sur l’insertion dans l’emploi”. Elles préconisaient ainsi de supprimer la prime à l’embauche pour les niveaux 6 (licence) et 7 (master) au sein des entreprises de 250 salariés et plus. Avec à la clef, 554 millions d’économies potentielles.
A l’issue de son discours d’une heure trente, le Premier ministre n’a pas sollicité de vote de confiance.
Les réactions des partenaires sociaux |
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Si le Medef a salué le discours de “vérité” du Premier ministre, il a toutefois mis en garde le gouvernement, en rappelant que sans une réduction de la dépense publique, “toute contribution supplémentaire des entreprises, nécessairement exceptionnelle et mesurée, serait incompréhensible”. Il se félicite de la perspective de renouer le dialogue social, en indiquant qu’il avait lui-même proposé aux partenaires sociaux de rependre la négociation sur les seniors. Il se dit également prêt à discuter d’aménagements à la réforme des retraites “dès lors qu’ils ne remettent pas en cause l’équilibre du régime”. De son côté, l’Union des entreprises de proximié (U2P) a accuelli favorablement “la volonté du Premier ministre de renouveler le dialogue social et de faire confiance aux partenaires sociaux”, en précisant qu’elle sera au rendez-vous de la renégociation des accords sur l’emploi des seniors et sur l’assurance-chômage tout en partageant la nécessité de revenir sur la réforme des retraites “en ce qui concerne la retraite progressive, l’usure professionnelle et l’égalité femmes-hommes”. Elle souhaite que le soutien à l’apprentissage soit confirmé à “l’exception des effets d’aubaine que la prime a pu créer en l’accordant aux plus grandes entreprises”. Olivier Guivarch de la CFDT se félicite que “maintenant le gouvernement reconnaît notre place”. La CFDT est donc prête à négocier sur l’assurance chômage et l’emploi des seniors. “Nous attendons de savoir dans quelles dispositions se mettent les organisations patronales”, a-t-il ajouté. A la CGT, Denis Gravouil reconnaît l’existence de plusieurs points favorables : “On a eu la peau de la réforme de l’assurance chômage, c’est quand même une victoire. Sur les retraites, Michel Barnier reste dans sa ligne d’aménagements cosmétiques qui ne nous satisfont pas du tout et il reste les réductions de dépenses que nous aurons dans le PLF et le PLFSS”. Il note également un succès “non négligeable” sur le Smic et les exonérations de cotisations autour du Smic. Comme à l’issue des bilatérales à Matignon, Frédéric Souillot (FO) se réjouit “de ce qui ressemble à un changement de méthode” mais espère que l’exercice ne se limite pas à de la simple communication. L’anticipation de plusieurs mois sur la hausse du Smic lui semble également “une bonne nouvelle pour les Smicards et les bas salaires” même s’il préfèrerait la mise en place de l’échelle mobile des salaires. Il note que Michel Barnier redonne la main aux partenaires sociaux sur de nombreux sujets et continuera de porter l’agrément de l’accord de 2023 sur l’assurance chômage. Pour François Hommeril, “tout cela est positif dans le sens où c’est conforme à ce qu’il nous a dit aux bilatérales”. La CFE-CGC se rendra aux diverses négociations paritaires sur l’assurance chômage, les seniors et les retraites. Son président note toutefois l’absence pour l’instant de tout élément de cadrage. Il souhaiterait également que des conditions soient fixées au patronat, comme une suppression du CICE (crédit d’impôt compétitivité emploi) en cas d’échec de la négociation. Il réclame aussi une étude d’impact financière sur les raisons de la dette budgétaire française. A la CFTC, Cyril Chabanier se satisfait lui aussi des annonces relatives au Smic qu’il considère comme “un geste positif”. Autres avancées selon lui, l’ouverture d’une nouvelle négociation sur l’assurance chômage. Il se dit en revanche “déçu” sur les retraites et “réservé” sur les branches : “J’ai entendu tous les Premiers ministres et tous les ministres du travail dire la même chose sans résoudre le problème des minimas inférieurs au Smic donc j’attends de voir comment Michel Barnier va tordre le bras des branches pour y parvenir”. Il reste à voir si les syndicats vont parvenir à dégager des lignes communes lors de la réunion intersyndicale prévue en visioconférence aujourd’hui en fin de journée. |
Cet article provient du site Editions Législatives - ActuEL RH