Organisme d’orientation et d’évaluation des politiques publiques rattaché au Premier ministre, France Stratégie a tenu, le 8 octobre, sa troisième conférence des métiers consacrée aux “enjeux, emplois et compétences de la planification écologique”. Une table ronde a réuni pour cette occasion les partenaires sociaux sur le dialogue social autour de la planification écologique. Quel bilan tirer de l’accord national interprofessionnel (ANI) signé par certaines organisations syndicales en avril 2023 ? Quelles entraves en entreprise à l’action des élus de CSE ? Quelles initiatives adoptées dans les branches ? A ces questions, les représentants des syndicats et du patronat répondent de manière unanime : le dialogue social écologique progresse, mais trop lentement.
Fruit de plusieurs mois de négociations de juillet 2022 à avril 2023, l’ANI sur la transition écologique était d’emblée présenté comme “une boîte à outil”, un “document de travail” ou encore un “guide méthodologique”. Est-ce à dire qu’il manquait d’ambition ? Le document de 50 pages a finalement été signé par la CFDT, la CFTC et les trois organisations patronales Medef, U2P et CPME. La CGT avait quitté la table des discussions et déjà Force Ouvrière soulignait “le manque d’impulsion du texte”.
Chargée de ces sujets à FO, Béatrice Clicq continue de défendre une véritable négociation obligatoire et récurrente dans les entreprises. “La transition écologique a tellement de conséquences sur la santé, la sécurité, les conditions de travail, les emplois qu’une négociation obligatoire me semblait essentielle. Mais je n’ai pas été entendue lors de la négociation”, nous a-t-elle indiqué en marge de la conférence. L’accord se bornait en effet à rappeler les principes législatifs en vigueur.
“Aussi bien sur l’appropriation des sujets que sur la planification écologique, les choses avancent trop lentement”, reconnaît Anne-Juliette Lecourt (CFDT). Si l’accord a permis à l’époque de sa négociation de “tirer les fils pour hiérarchiser les dossiers et réorienter les stratégies des entreprises, des branches et des filières, on bute sur des difficultés liées aux interdépendances des modèles économiques, affirme la secrétaire confédérale de la CFDT en citant l’exemple de la société Saunier Duval, spécialiste des systèmes de chauffage dont l’activité se trouve en difficultés sur les pompes à chaleur. Autre exemple cité, celui de l’automobile : malgré le dernier contrat de filière, Anne-Juliette Lecourt dénonce “les logiques court-termistes des constructeurs qui soufflent le chaud et le froid sur les véhicules thermiques et ne présentent pas de cap clair pour les sous-traitants”.
Côté CFTC, Jean-Marc Boulanger défend au contraire un accord “basé sur de bonnes volontés mais peut-être qu’il fallait aller sur une obligation de négocier, sans toutefois contraindre à conclure des accords”. A l’issue des négociations, la CGT avait déclaré le projet de texte “inopérant dans la quasi-totalité de son contenu” car dénué de toute nouvelle obligation à la charge des entreprises. Virginie Neumayer, en charge de ces sujets à la direction confédérale, y voit toujours “un manque d’ambition en matière de planification écologique et industrielle alors que la réalité nous rattrape et que l’on voit se succéder inondations et incendies”. Pour Maddy Gilbert (CFE-CGC), “un ANI doit avoir des apports supplétifs, or cet accord était juste un rappel à la loi”, expliquant ainsi pourquoi sa confédération n’avait pas signé le projet.
Le patronat, signataire unanime du texte, rejoint le constat des organisations syndicales tout en pointant ses difficultés. Pour Jean-Baptiste Léger (Medef), l’ANI “reflète aussi les connaissances des partenaires sociaux, il faut de toute façon une approche échelles en regardant ce qui se passe au niveau des branches, des régions et des entreprises en acceptant que cela n’aille pas aussi vite qu’on le voudrait”. Eric Chevée (CPME) se satisfait quant à lui de l’esprit “boîte à outils de chef d’entreprise de proximité” de l’ANI, et de sa capacité à proposer des évolutions dans les branches. Côté U2P, David Morales assure que les petites entreprises “ont le sujet en tête” mais concède que “le dialogue social n’est pas aussi formalisé au quotidien dans nos structures que dans les grandes entreprises”.
Seule la branche de l’industrie pharmaceutique travaille à un projet d’accord relatif à la transition écologique. Selon Anne-Juliette Lecourt (CFDT), le texte impliquerait que les entreprises de la branche soient tenues de réaliser un bilan carbone (ce qui n’est obligatoire aujourd’hui que dans les entreprises de plus de 500 salariés) et de construire un plan climat. Une commission environnement leur serait également imposée.
Patricia Drevon (FO) souligne que “les branches restent le meilleur niveau pour évoquer la mutation des métiers. Les opérateurs de compétences (Opco) ont été dotés de nouvelles compétences avec des observatoires”. Néanmoins, le bilan n’y est pas encore : “Leur mise en place a pris du temps et ils sont maintenant en vitesse de croisière. On a fait des Opco de filières la plupart du temps donc on pourrait penser que ces observatoires aient une réelle utilité pour la transition écologique sur un travail de prospective pour étudier comment vont se transformer les filières mais je ne suis pas sûre qu’aujourd’hui ils aient vraiment répondu. D’autres outils sont créés par France Stratégie et la Dares mais je ne suis pas sûre que tout le monde travaille déjà ensemble sur ces sujets. Il faut encore que les observatoires pilotés par les branches portent leurs fruits et soient partagés de manière collective avec les organisations syndicales et patronales”.
L’initiative est également rappelée par Eric Chevée (CPME) : “Les observatoires des Opco ont pour mission d’étudier les évolutions. Les lignes de crédit pour la transition écologique n’étaient jamais mobilisées il y a quelques années, elles le sont désormais donc l’appétence vient”.
Les organisations syndicales déplorent toutes l’ajout de la compétence environnementale aux élus de CSE par la loi climat sans les moyens qui devraient les accompagner. “Personne n’est opérationnel, ni les délégués syndicaux ni les élus de CSE, et ce, malgré la feuille de route sur la décarbonation. Certes, la négociation GEPP (gestion des emplois et des parcours professionnels) doit intégrer les enjeux écologiques sur la base d’un diagnostic partagé, mais cela reste insuffisant”, relève Jean-Marc Boulanger (CFTC). Patricia Drevon (FO) partage le même constat : “Les élus de CSE manquent d’heures de délégation et de moyens pour se former et porter ces dossiers à la hauteur des enjeux. Nous nous sommes saisis de ces sujets depuis 2018 où nous avons créé un groupe de travail, édité un guide et mis en place une formation de nos militants”. Sur le terrain, la mission reste ardue. Pour Maddy Gilbert (CFE-CGC), “trop d’élus voulant mettre en place une commission environnement sont confrontés à une fin de non-recevoir”.
Le bilan n’est pas aussi sombre pour Jean-Baptiste Léger (Medef) : selon lui, “en 2021, la moitié des CSE n’avait jamais évoqué la transition écologique. En 2022, ils étaient plus d’un tiers et je suis sûr que le chiffre 2023-2024 sera encore meilleur”. Les organisations syndicales relèvent cependant que l’instabilité politique de ces derniers mois n’a plus permis de faire avancer le dialogue social écologique…
Cet article provient du site Editions Législatives - ActuEL RH