“Il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour, écrivait le poète français Pierre Reverdy il y a un siècle. C’est la même chose avec le dialogue, notamment social, dont Michel Barnier a fait l’éloge lors de sa déclaration de politique générale le 1er octobre (accolé aux mots respect et écoute, il a usé 11 fois du terme en 1h30) et pour lequel il a appelé à un “renouveau”. Jeudi soir sur France 2, il a enfoncé le clou en rappelant que sa méthode de gouvernance sera basée sur le respect, l’écoute, et le dialogue… Reste qu’il y a ce que clament les chefs de gouvernement à la tribune de l’Assemblée après leur arrivée au pouvoir et ce qu’ils font dans leur bureau à l’hôtel Matignon une fois qu’ils l’exercent.
Et c’est peu dire que des promesses qui “n’engagent que ceux qui les reçoivent”, rappelait cyniquement Charles Pasqua régulièrement dans les années 1990 – de dialogue, les partenaires sociaux en ont eues à la pelle depuis 2017. Promis, craché, juré, l’avis des organisations syndicales et patronales serait pris en compte pour chaque décision importante, et pas uniquement lorsque le sujet toucherait au monde du travail comme le préambule de la loi Larcher de 2007 l’impose. Promis, craché, juré, le “nouveau monde” post-élection du président de la République serait différent de l’ancien et plus jamais la commedia dell’arte des lois Croissance (Macron 2015) et Travail (El Khomri 2016), avec un passage en force à l’Assemblée contre l’avis d’une majorité de députés et de Français, ne se reproduirait…
On connait la suite. A chaque sortie de crise (Gilets Jaunes, retraites 2020, Covid, retraites 2023…), le président Macron a remis l’ouvrage du dialogue social sur le chantier et promis un changement de méthode aux syndicats et au patronat. Las, il n’a eu de cesse en sept ans que de les contourner, ici en ne tenant pas compte du projet d’accord qu’ils avaient conclu après des semaines de négociation sur la formation professionnelle, là en refusant une conférence sociale qui aurait peut-être permis d’apaiser les esprits et trouver des solutions à la crise des Gilets Jaunes, ou encore ici pour contourner l’obstacle en confiant à une commission ad hoc ou une convention citoyenne le soin de réfléchir à un sujet de société.
Le dialogue social a, quoi qu’en disent les partisans du chef de l’Etat ou ses premiers ministres successifs, été plus souvent qu’à son tour le parent pauvre de la gouvernance Macron. Le ton avait été donné dès les premières heures de son premier quinquennat quand la concertation sur les ordonnances Pénicaud, qui visait à réviser le code du travail, s’est transformée en sprint estival d’échanges tous azimuts pour pouvoir cocher formellement la case de la consultation sociale avant examen et vote à l’Assemblée.
Le paroxysme du dédain envers les partenaires sociaux, et plus globalement envers les corps intermédiaires (sauf en sortie de crise où le président de la République a parfois été obligé, contraint et forcé, de les remettre au centre du jeu pour trouver une issue à l’impasse dans laquelle il s’était embarqué), a été atteint au moment de la dernière renégociation de la convention d’assurance-chômage en 2023. En fixant un objectif d’économies et des options de réforme du régime (dégressivité, contra-cyclicité, droits d’affiliation…) que les syndicats ne pouvaient décemment pas accepter, l’exécutif tuait dans l’œuf ce qu’il restait de dialogue social en Macronie, condamnant l’issue des discussions avant qu’elles ne commencent.
On comprend mieux le scepticisme et la méfiance avec lesquels les partenaires sociaux ont accueilli les engagements du nouveau Premier ministre pour qui “le mot de compromis n’est pas un gros mot” et qui a promis de “faire du dialogue et de la culture du compromis un principe de gouvernement”. Dont acte, monsieur Barnier, lui ont-ils tous répondu en cœur, non sans lui rappeler qu’ils le jugeraient à sa pratique effective du dialogue social et non à ses paroles énamourées à leur égard. Chat échaudé craint l’eau froide…
Ils devraient à ce sujet être très bientôt fixés, le chef du gouvernement les ayant appelés à rouvrir sans tarder deux chantiers ô combien sensibles et explosifs : celui sur l’emploi des seniors, en incluant les “améliorations” (sur l’usure professionnelle, les femmes et la retraite progressive) à apporter à la réforme 2023 des retraites sans dégrader l’équilibre financier général précaire trouvé – comprenez “pas touche aux 64 ans”, et celui de l’indemnisation du chômage. De la capacité du Premier ministre à accepter les compromis que trouveront les partenaires sociaux sur ces deux dossiers emblématiques dépendra sa crédibilité à maintenir une forme d’unité nationale indispensable pour retrouver une sérénité démocratique évanouie depuis longtemps et par là même à rétablir la confiance perdue avec les représentants des organisations syndicales et patronales.
Gageons que la nouvelle ministre du travail, Astrid Panosyan-Bouvet, femme libre d’esprit qui a su par le passé se démarquer en actes des éléments de langage élyséens et de la doxa officielle (elle s’était notamment positionnée au printemps dernier contre la nouvelle réforme Attal de l’assurance-chômage, gelée dans l’urgence après le 1er tour des législatives et, semble-t-il, définitivement abandonnée), saura trouver les voies de passage cher à l’un de ses prédécesseurs rue de Grenelle, Xavier Bertrand, pour redonner ses lettres de noblesse au dialogue social. Et transformer les paroles prometteuses du premier ministre en actes sonnants et trébuchants.
En tout cas, Astrid Panosyan-Bouvet va en avoir l’opportunité et la liberté, en raison de l’incapacité du président de la République, dont elle est une proche historique (elle était dans son cabinet au ministère de l’économie entre 2014 et 2016, et fut l’une des 12 premières ambassadrices de son nouveau politique En Marche !), de peser sur les choix du gouvernement. Certes, il va garder un pouvoir de nuisance, notamment par la parole, mais le chef du gouvernement et ses ministres n’auront de compte à rendre qu’aux députés, les seuls à pouvoir les démettre et les renverser. Doit-on le rappeler, la Constitution ne permet pas au président de la République de virer son premier ministre, tout juste (c’est dans les usages, pas dans les textes) de lui demander de remettre sa démission. Et le chef du gouvernement peut, situation en théorie possible qu’en cas de “cohabitation” ou de “coalitation” selon le néologisme inventé pour qualifier cette nouvelle donne politique, tout à fait refuser de la lui donner…
Quoi qu’il en soit, les premières prises de parole d’Astrid Panosyan-Bouvet, lors de sa passation de pouvoir avec Catherine Vautrin sur les marches de l’hôtel du Chatelet, lors des questions au gouvernement à l’Assemblée nationale, ou sur France Info mercredi pour son interview dans la matinale affichent clairement la couleur de la primauté qu’elle entend accorder au dialogue social et de la liberté qu’elle va donner aux partenaires sociaux pour trouver les compromis dont la France a besoin pour cesser de reculer. Chiche, madame la ministre…
Cet article provient du site Editions Législatives - ActuEL RH