Innovations et expertise dans la prise en charge des plaies chroniques et complexes


Intelligence artificielle, recherche clinique, usage de la télémédecine “comme un véritable outil de compagnonnage”… la prise en charge des plaies chroniques et complexes ne cesse de se perfectionner à l’aune d’innovations mais aussi de l’expertise croissante des soignants impliqués. Le point à l’occasion des 1res Journées du réseau Cicat-Occitanie qui se sont déroulées à Carcassonne cet été.

Intelligence artificielle

De l’aide à l’analyse au suivi des plaies, les outils numériques favorisent une meilleure prise en charge des plaies chroniques et complexes

Développer des algorithmes d’intelligence artificielle pour l’aide à l’analyse et au suivi des plaies, tel est ce à quoi s’emploie, entre autres, Cicat-Occitanie, réseau d’expertise et de coordination en plaies et cicatrisation (voir encadré). Nous essayons de faire apprendre à l’algorithme à prédire correctement la “vérité terrain”, sachant que la qualité des prédictions médicales qu’il avance dépend de la qualité de l’entraînement qu’il a reçu, a expliqué Guillaume Picaud, ingénieur du Réseau lors d’une plénière consacrée aux innovations et à l’expertise dans le cadre de ces Journées. Chacune des quatre tâches retenues, à savoir la localisation des plaies, leur délimitation, leur classification (escarre, ulcère, stomie, brûlure, plaie diabétique…) ainsi que l’analyse des tissus (nécrose, fibrine, bourgeonnement), fait l’objet d’une phase d’entraînement – ou d’apprentissage – sur la base CICAT_Imagettes   puis d’une phase d’inférence – ou de prédiction –, lors de laquelle l’algorithme est soumis à des images jamais utilisées durant l’entraînement. Le nerf de la guerre est bien sûr le nombre d’images : Plus on a d’exemples pour entraîner nos algorithmes, mieux c’est a admis le spécialiste. Mais aussi et surtout leur qualité : Pour l’heure, nous faisons le tri afin d’avoir une qualité d’image suffisante. Néanmoins, Guillaume Picaud a invité les infirmiers libéraux à se former afin qu’ils soient en mesure de faire des photos de la meilleure qualité possible. In fine, l’objectif est non pas d’étudier les plaies à un instant T mais surtout d’être en mesure de voir comment elles évoluent, a-t-il conclu.

Détersion chirurgicale dans le pied diabétique : intérêt des TPN en postopératoire

Autre sujet abordé lors de cette plénière, celui de la détersion chirurgicale du pied diabétique. Un geste opératoire qui a désormais toute sa place dans la prise en charge de ce type de plaie, en particulier en cas d’infection (érythème, orteil en saucisse, ostéite, abcès, nécrose), de plaie profonde avec contact osseux ou atteinte de structure noble, ou encore d’échec du traitement médical. Comme le souligne le Dr Camille Rodaix, chirurgien orthopédique et traumatologue à la clinique St-Roch et au sein du centre médical Achille à Montpellier, la détersion chirurgicale présente un intérêt certain dans les cas où l’on minimise l’importance de la plaie, telles les plaies atones, très fibrineuses, celles avec des tunnels que l’on aura du mal à nettoyer, les plaies nécrotiques qui évoluent mal avec une exposition osseuse.

Les objectifs de cette détersion sont multiples : permettre d’évaluer objectivement la plaie (profondeur, décollement…), éliminer les tissus nécrotiques et infectés et évacuer les collections profondes (base des orteils afin de permettre la cicatrisation et diminuer la charge bactérienne), mais aussi, effectuer des prélèvements bactériologiques profonds, diminuer le risque de dissémination locale et systémique de l’infection chez un sujet à la défense immunitaire compromise et enfin, préparer la reconstruction.

À ce propos, la spécialiste du pied a rappelé que dans la plupart des cas, on ne ferme pas les plaies d’emblée, celles-ci étant souvent très importantes et la peau périphérique d’une qualité médiocre, d’autant que l’on sait qu’à la moindre tension cela évolue mal. Différents types de couverture sont alors envisageables : greffe de peau, dermes artificiels, lambeau fascio-cutané. La cicatrisation dirigée a par ailleurs toute sa place, souvent associée à une phase d’antibiothérapie afin que le sous-sol soit bien sain.  Et le Dr Camille Rodaix d’indiquer encore combien la thérapie par pression négative (TPN) permet de simplifier la plaie et donc sa méthode de couverture et ainsi de favoriser l’évolution secondaire de la plaie. Qu’il s’agisse du système VAC classique ou des systèmes portables qui se développent, tel le PICO. Et parmi les dernières innovations de citer le VAC Veraflo (réservé à l’hôpital) avec instillation (plus efficace, sérum physiologique suffisant, capacité de détersion importante) ou encore les systèmes avec différentes mousses.

Recherche clinique avec téléconsultation

Autre projet innovant mené par le réseau Cicat-Occitanie et présenté à l’occasion de ces 1res journées, l’étude “Mathcow”-Cacipliq  qui permet aux soignants du premier recours [de la région Occitanie – NDLR], notamment aux infirmiers libéraux d’être intégrés dans un projet de recherche clinique en plaies et cicatrisation via la télémédecine a indiqué Marion Mourgues, chef de projet du Réseau. Précisément, cette étude vise à évaluer en vie réelle l’efficacité du Cacipliq 20 (analogue des héparanes sulfate), l’objectif premier étant d’étudier le taux de cicatrisation complète survenant dans un délai de vingt semaines après le début du traitement par ce dispositif médical de classe III.

Déjà présent sur le marché depuis 2008, ce spray de cicatrisation est à l’heure actuelle principalement utilisé dans la gestion des plaies difficiles à cicatriser rappelle le réseau Cicat-Occitanie sur son site internet. Débuté il y a près de six mois, ce projet de recherche, qui doit se clôturer en fin d’année, cible le recrutement de 200 patients atteints d’ulcère chronique de jambe d’origine veineuse, artérielle ou diabétique. À ce jour, 66 patients sont déjà inclus, a détaillé la chef de projet, sachant que les requérants sont des professionnels de santé qui souhaitent avoir un avis sur la plaie de leurs patients. À noter : c’est un infirmier expert qui est en charge de l’identification des patients éligibles, de la prise de contact avec les requérants, ainsi que de la veille sur les dossiers suivis. Lors de la visite d’inclusion (première administration), le protocole de l’étude indique qu’après détersion de la plaie et avant application de tout pansement, le demandeur prend une photographie numérique de la plaie cible avec la mire colorimétrique graduée positionnée à côté. Puis l’image est chargée dans l’application (“Domoplaies”). Le protocole mentionne également qu’à chaque téléconsultation de suivi, une photographie de la plaie cible est saisie par le requérant et l’image […] chargée dans l’application. Comme son collègue Guillaume Picaud, Marion Mourgues a insisté, dans ce contexte de recherche clinique, sur l’importance de la mire mais aussi de la qualité de la photo.

Télé-assistance

Si la téléconsultation vient en accompagnement théorique aux soignants de proximité comme on peut le voir dans le projet de recherche clinique décrit ci-dessus, avec la télé-assistance, c’est le soignant de proximité qui devient le bras de l’expert comme l’affirme Chloé Geri, médecin coordonnateur du réseau. Cet autre acte de télémédecine, qui vient donc en accompagnement pratique, a lui aussi toute sa place dans la prise en charge des plaies chroniques et complexes. En effet, il permet de réaliser des gestes techniques en toute sécurité pour les soignants habituels, en l’occurrence les Idel qui se sentent guidés et sécurisés avec un médecin expert à leurs côtés certes en virtuel mais bel et bien présent. Et le Dr Geri de poursuivre : Une détersion au lit du malade peut être réalisée de façon quasi chirurgicale si le soignant et le patient sont bien accompagnés. La télé-assistance suppose toutefois que l’Idel s’organise en amont de la consultation, notamment dans la préparation du matériel (écouvillon, gants stériles, compresses…). Dans ce contexte de soin, la temporalité s’avère essentielle autant pour le patient, l’expert que pour le soignant de proximité. Bien sûr, le contexte médico-légal est encore à “déterger” comme l’a souligné le Dr Luc Téot, président du réseau Cicat-Occitanie. Il n’y a pas encore de jurisprudence dans ce domaine. Il faut que le cadre légal puisse accompagner ces pratiques. Et ce dernier de pointer la capacité à faire des non-chirurgiens et notamment le rôle propre infirmier.

Cicat-Occitanie à l’initiative de Domoplaies

Créé en 1999, le réseau Cicat-Occitanie (association loi 1901) est à l’origine de Domoplaies, le service régional de prise en charge des plaies en Occitanie. Depuis plus de dix ans, ce dernier permet ainsi à n’importe quel soignant, médecin ou infirmier, à domicile ou en établissement, de solliciter le réseau pour une expertise en plaie et cicatrisation pour son patient, grâce à un numéro de téléphone unique pour toute la région : 04 67 33 22 22.

Domoplaies s’appuie également sur le protocole de coopération Évaluation et suivi de plaies complexes et/ou à retard de cicatrisation en plaies et cicatrisation dans le cadre d’un réseau pouvant fonctionner en télémédecine validé par la Haute Autorité de santé (HAS). Ce protocole place ainsi les infirmiers sous la délégation d’un ou plusieurs médecin(s). Toutes les propositions de plan de soin éditées par un infirmier du réseau sont supervisées par un médecin avant envoi aux médecins traitants et aux infirmiers des patients pris en charge.

Le projet Domoplaies a été retenu, dans le cadre des expérimentations prévues par l’article 51 de la LFFS 2018 visant des organisations innovantes et des modèles de financement inédits.

Dans ce contexte, Cicat-Occitanie expérimente dans le cadre d’un épisode de soins un financement au forfait d’un dispositif d’expertise et d’appui à la coordination de patients atteints de plaies chroniques et/ou complexes (386 euros par patient/401 euros lorsqu’il réside en Ehpad). Au terme de quatre années d’expérimentation (soit jusqu’à septembre 2024), l’enjeu est la généralisation du dispositif Domoplaies au territoire national et l’inscription de son financement dans le droit commun.

Sources

Cicat Occitanie ; ARS Occitanie

Valérie Hedef

Cet article provient du site Infirmiers.com