C’est un film qui parle de la folie. Ils sont quatre, trois hommes et une femme, habitants de Marseille, marginaux, considérés comme “fous” par la société, à dévoiler leurs états d’âme, au sens strict, face à la caméra de la réalisatrice Séverine Mathieu. Le film, sorti sur les écrans le 19 octobre, crée, dans une mise en scène d’une remarquable sobriété, une intimité touchante avec ces personnages “habités”.
C’est Socrate qui entendait des voix. Il entendait ce qu’il appelait son démon. Et il marchait en l’écoutant. Comme moi j’entends une voix et… Je marche en l’écoutant
. Cette scène, on croirait presque à du théâtre en la découvrant. C’est l’un des “personnages” du film qui prononce ces mots tandis qu’il fait les cent pas dans sa chambre, près d’un bureau croulant de livres. Preuve que la dramaturgie du réel
, comme l’appelle la réalisatrice Séverine Mathieu, peut être aussi intense que la fiction
. C’est en tout cas vrai parfois, et certaines séquences du film Habités
, tournées dans le huis clos d’un appartement, ou du cabinet d’un psychiatre, comportent en tout cas des dialogues incroyables qui semblent écrits pour la fiction.
“Mettre en scène ce qu’il y a de commun entre la raison et la déraison”
L’idée du documentaire était en quelque sorte de faire un pas vers l’autre : d’un côté les patients, qui tout en étant dans la “cité”, n’ont pas forcément leur place dans la société
, souligne la réalisatrice et se rapprochent, à l’occasion du film, du monde rationnel, de l’autre la réalisatrice qui se sert du film
pour accéder à leur univers et tenter de le comprendre, au-delà des représentations sur la maladie mentale
.
Et toi, comment tu fais avec ta folie ?
Or c’est bien cela, la force et la qualité premières du documentaire “Habités” : sa forme expérimentale, libre (on entend par exemple les interactions avec la réalisatrice), qui laisse la possibilité au spectateur d’entrer dans une certaine intimité, une proximité avec les protagonistes. Peu importe qu’ils délirent, peu importe qu’on comprenne mal ce qu’ils veulent nous dire (l’élocution est parfois difficile), peu importe qu’on perde le fil, on les écoute, on les regarde, on les suit, avec attention.
La réalisatrice a initié des ateliers de dialogues avec les “personnages” (la réalisatrice emploie elle-même ce terme propre à la fiction) mais aussi avec des soignants, des séances qui ont peu à peu permis de dégager une narration et de donner naissance au film.
Entre périodes d’hospitalisations, dialogues avec des soignants (un psychiatre, un infirmier libéral), les quatre protagonistes dévoilent un quotidien fait de combat : contre le néant, l’angoisse, la solitude ou la maladie.
Pendant 3 ans, nous nous sommes assis autour d’une table, une fois par semaine. “Nous” ce sont les personnes avec lesquelles je voulais faire le film
, raconte la réalisatrice, c’est à dire des usagers de la psychiatrie et aussi les soignants et l’assistante de réalisation. Nous parlions de notre façon d’habiter le monde, plus précisément de la façon dont chacun habite chez soi et par extension habite son quartier, puis cette ville qu’est Marseille. Egalement comment chacun habite son corps et sa tête. J’arrivais à chaque fois avec une thématique, comme par exemple, nos itinéraires dans la ville ou les relations amoureuses. Ma demande était qu’ils me racontent des moments de l’ordre de la scène, qu’ils soient d’emblée en mode narrateurs, dans du récit afin qu’on construise ensemble celui du film
. C’est indéniablement ce qu’ils ont fait.
Découvrez la bande-annonce du film “Habités” :
Habités
: le film est à découvrir en salle depuis le 19 octobre 2022.
Susie BOURQUINJournaliste susie.bourquin@infirmiers.com @SusieBourquin
Cet article provient du site Infirmiers.com