Dans un arrêt destiné à une large publication, la Cour de cassation se prononce sur la recevabilité de la preuve de faits fautifs obtenue à partir de l’examen de clés USB personnelles. Une salariée, assistante commerciale, est licenciée pour faute grave pour avoir copié, sur plusieurs clés USB trouvées dans son bureau par l’employeur, de nombreux fichiers de l’entreprise, dont certains relatifs à des données de fabrication, auxquels elle n’avait pas accès dans le cadre de ses fonctions. Elle conteste principalement la licéité du contrôle de l’employeur sur le contenu de ces clés USB personnelles, dont celui-ci alléguait qu’elles se trouvaient dans le bureau de la salariée, mais pas connectées à l’ordinateur professionnel, même si elles avaient pu l’être par le passé.
La chambre sociale de la Cour de cassation affirme, sur le fondement de l’article L.1121-1 du code du travail, que l’accès par l’employeur, hors la présence du salarié, aux fichiers contenus dans des clés USB personnelles, qui ne sont pas connectées à l’ordinateur professionnel, constitue une atteinte à la vie privée du salarié. Par conséquent, ce mode d’obtention d’une preuve est illicite.
Cette solution est à rapprocher d’une autre, adoptée une dizaine d’année plus tôt, ayant admis qu’une clé USB, dès lors qu’elle est connectée à un outil informatique mis à la disposition du salarié par l’employeur pour l’exécution du contrat de travail, est présumée utilisée à des fins professionnelles. L’employeur peut donc avoir accès aux fichiers non identifiés comme personnels qu’elle contient, hors la présence du salarié (arrêt du 12 février 2013).
La cour d’appel de Lyon a au contraire jugé que les clés USB trouvées sur le bureau de la salariée ne pouvaient pas être identifiées comme personnelles, s’appuyant sur la jurisprudence selon laquelle les documents détenus par un salarié dans le bureau de l’entreprise sont présumés professionnels de sorte que l’employeur peut en prendre connaissance même sans la présence du salarié, sauf s’ils sont identifiés comme personnels (arrêt du 4 juillet 2012). Et l’avis de l’avocat général devant la Cour de cassation dans cette affaire penchait plutôt dans ce sens, dès lors qu’en l’espèce rien ne permettait de laisser présumer une quelconque destination personnelle des clés USB en dehors de tout signalement spécifique de l’intéressée.
La chambre sociale de la Cour de cassation fait sienne la position de l’Assemblée plénière du 22 décembre 2023 concernant les conditions d’admissibilité d’une preuve illicite. Ainsi, dans un procès civil, l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats. Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.
La chambre sociale ne recite pas l’attendu de principe de ses propres arrêts récents en la matière concernant la méthode devant être suivie par les juges du fond (arrêt du 8 mars 2023 ; arrêt du 14 février 2024), où elle recommande aux juges en présence d’une preuve illicite, de :
- s’interroger d’abord sur la légitimité du contrôle opéré par l’employeur et vérifier s’il existait des raisons concrètes qui justifiaient le recours à la surveillance et l’ampleur de celle-ci ;
- rechercher ensuite si l’employeur ne pouvait pas atteindre un résultat identique en utilisant d’autres moyens plus respectueux de la vie personnelle du salarié ;
- apprécier enfin le caractère proportionné de l’atteinte ainsi portée à la vie personnelle au regard du but poursuivi.
C’est pourtant bien au travers de cette grille d’analyse que la Cour de cassation procède ici, elle-même, à l’exercice de mise en balance, à partir des constatations faites par les juges du fond. On notera qu’ayant jugé la preuve licite, ces derniers n’ont pas effectué cet exercice.
Ainsi, la cour d’appel a relevé que l’employeur faisait valoir qu’il avait agi de manière proportionnée afin d’exercer son droit à la preuve, dans le seul but de préserver la confidentialité de ses affaires, de sorte que la mise en balance avec le droit à la preuve était bien demandée par une partie.
Elle a ensuite constaté que l’employeur démontrait qu’il existait des raisons concrètes qui justifiaient le contrôle effectué sur les clés USB, au regard du comportement de la salariée qui, selon le témoignage de deux de ses collègues, avait travaillé sur le poste informatique d’une collègue absente et imprimé de nombreux documents qu’elle avait ensuite rangés dans un sac plastique placé soit au pied de son bureau, soit dans une armoire métallique fermée.
La cour d’appel a ensuite relevé que pour établir le grief imputé à la salariée, l’employeur s’était borné à produire les données strictement professionnelles reproduites dans une clé unique après un tri opéré par l’expert qu’il avait mandaté à cet effet, en présence d’un huissier de justice, les fichiers à caractère personnel n’ayant pas été ouverts par l’expert et ayant été supprimés de la copie transmise à l’employeur, selon procès-verbal de constat d’huissier.
Dès lors, conclut la Cour de cassation, il en ressort que la production du listing de fichiers tiré de l’exploitation des clés USB était indispensable à l’exercice du droit à la preuve de l’employeur et que l’atteinte à la vie privée de la salariée était strictement proportionnée au but poursuivi, de sorte que les pièces relatives au contenu des clés USB litigieuses étaient recevables.
La lettre de licenciement reprochait à la salariée de s’être connectée sur l’ordinateur de la dirigeante de l’entreprise et celui de sa collègue sans autorisation et d’avoir récupéré des données particulièrement sensibles auxquelles elle n’était pas censée avoir accès, faisant prendre un risque majeur pour l’entreprise de voir ces données “se retrouver dans la nature” sur des clés USB non sécurisées, anéantissant ainsi tous les efforts consentis par l’employeur pour protéger ses données.
La cour d’appel a relevé que la salariée, qui n’avait pas la charge de la fabrication de produits, avait copié de sa propre initiative sur des clés USB lui appartenant, de nombreux fichiers en lien avec le processus de fabrication qu’elle avait l’intention d’emporter avec elle. La Cour de cassation décide que la cour d’appel a pu en déduire que ces faits constituaient une faute grave rendant impossible le maintien dans l’entreprise de la salariée, peu important son ancienneté de 37 années.
Cet article provient du site Editions Législatives - ActuEL RH