Et si les DRH passaient à la vitesse supérieure sur la transition écologique ? C’est ce que suggère le livre “Green RH, quand la fonction RH fait sa révolution verte”, présenté le 2 octobre, aux éditions Dunod. Ses auteurs, Michel Barabel, Olivier Meier et Antoine Poincaré, sont tous les trois convaincus que les professionnels RH ne peuvent plus faire l’économie d’une telle réflexion. N’en déplaise aux dirigeants ou aux responsables RSE, les questions posées par l’urgence climatique, qu’il s’agisse de la gestion des compétences, des conditions de travail, de la valorisation de la marque employeur ou encore de la prévention des risques psychosociaux, relèvent bien de leurs prérogatives.
Réalisé sur la base d’études et d’entretiens, l’ouvrage recense une quarantaine d’entreprises aux avant-gardes du sujet.
L’urgence est, tout d’abord, de s’impliquer dans l’adaptation des compétences, via des plans de gestion de l’emploi et des parcours professionnels. Car ces savoir-faire ne sont plus l’apanage des emplois strictement liés à l’écologie, rappelle Isabelle Bastide, directrice des opérations de PageGroup, citée dans le livre. “Ils sont aussi pertinents dans des emplois qui ne sont pas considérés comme intrinsèquement liés à la responsabilité sociale et environnementales de l’entreprise”.
De nombreux postes devront intégrer des briques de compétences visant à tenir compte de l’environnement, des green skills. A charge pour les DRH d’anticiper ces évolutions et de bâtir des plans de formation susceptibles de verdir l’ensemble des fonctions des entreprises. A l’instar de l’hôtellerie de luxe qui a dû repenser ses pratiques pour s’engager dans le développement durable, davantage en adéquation avec les attentes de sa clientèle.
L’autre grand enjeu concerne l’organisation du travail. “L’impact du réchauffement climatique sur les conditions de travail va se poser très rapidement, pointe Antoine Poincaré, fondateur de l’organisme de formation Axa climate school. Car de nouveaux risques émergent aux premiers rangs desquels la question de la sécurité pour les collaborateurs qui travaillent sous 40/50 °C en France”. Véolia a ainsi mené un travail approfondi sur les fortes chaleurs en 2023-2024 et leur impact sur les conditions de travail des salariés, via des interviews et des analyses d’activité, sur 13 sites dans le monde dont quatre en France. “Il faut se préparer partout quoi qu’il arrive à l’augmentation de forte chaleur en termes de nombre de jours et d’intensité”, appuie Laure Girodet, directrice groupe santé/sécurité du groupe.
Certains pays européens, comme l’Espagne ou la Lettonie, ont, d’ores et déjà, pris les devants et adopté des réglementations spécifiques pour protéger les salariés, rappelle Michel Barabel, directeur de l’executive Master RH de Sciences Po et du master GRHM de l’IAE Paris-Est. Avec parmi les leviers, un aménagement des heures de travail, du chômage partiel ou encore des moments de repos à l’ombre.
D’autres, à l’instar de Carbo, une start-up qui propose aux particuliers et entreprises des outils pour réduire leur empreinte carbone, ont mis en place la semaine de quatre jours, “qui serait plus écologique que celle de cinq”, selon Anouk Jugla, directrice people and culture.
“Il sera sans doute difficile dans le futur d’imposer un cadre d’organisation unique et rigide alors que l’environnement serra très volatil et imprévisible”, observent les auteurs.
Ils identifient également un sujet émergent pour les RH, en soulignant leur “rôle à jouer vis-à-vis de l’éco-anxiété” des salariés. Selon le Cese, la moitié des Français serait anxieux face aux crises environnementales. Un mal-être qui se répercute sur le travail, qu’il s’agisse de l’engagement, de la productivité ou encore de la qualité de vie au travail. D’où la nécessité de déceler les signaux avant-coureurs tout en favorisant les pratiques de travail éco-responsables.
Avec, dans la boîte à outils des DRH, la possibilité de prévoir les mobilités douces qui mettent l’accent sur les transports publics, les voitures électriques, le co-voiturage, la conversion des flottes des entreprises (comme PageGroup, SAP), la formations aux comportements écoresponsables, la désignation de référents écologiques locaux (SAP) ou encore la participation à des projets de préservation de la nature, à l’instar d’Yves Rocher, par exemple (une demi-journée par salarié).
Autre levier à la main des DRH : l’intégration des critères environnementaux dans la politique de rémunération, notamment dans les accords d’intéressement, comme chez Axa, L’Oréal, SAP, Accor, Michelin ou encore l’orientation des placements des fonds d’épargne vers des investissements socialement responsables, en vertu de la loi sur le partage de la valeur, du 29 novembre 2023.
Enfin, les DRH doivent préserver la marque employeur pour attirer des jeunes prêts à renoncer à postuler dans une entreprise qui ne prendrait plu suffisamment en compte les enjeux environnementaux.
“Tout PDG pense qu’il va gagner la guerre des talents en offrant un peu plus d’argent, un peu plus de travail à domicile et un abonnement à une salle de sport, va être déçu. Une ère de la démission pour raison de conscience est en route”, concède Paul Polman, ancien PDG d’Unilever.
Si les dirigeants l’oublient parfois, les salariés ont de plus en plus les moyens de leur rappeler.
RTE, l’a bien compris. Pour répondre aux attentes des collaborateurs de plus en plus sensibles à ces questions environnementales, le gestionnaire français du réseau de transport d’électricité français a mis en place une plate-forme d’innovation participative qui a permis “de lancer des défis environnementaux favorisant la création, le partage et la mise en place de pratiques durables”. Axa, de son côté, a créé un groupe dédié aux questions climatiques, forte de près de 2 000 collaborateurs.
Certaines de ces communautés se regroupent même au sein de l’association Les collectifs, lancée en 2021, pour transformer “l’entreprise de l’intérieur” et inciter les dirigeants à s’appuyer sur leurs salariés pour leur accélérer leur mutation. Parfois même à l’initiative de la DRH.
Reste qu’en dépit de ces initiatives, beaucoup à faire. Car tous les professionnels n’ont pas pris fait et cause pour la nécessité de prendre le virage écologique. “La transition écologique des RH est encore sous-traitée par les entreprises”, reconnaît Antoine Poincaré.
“On devient souvent green par pression législative, financière ou institutionnelle ou sous la contrainte des parties prenantes en particulier clients. Nos recherches ont démontré que c’est rarement par conviction, insiste Michel Barabel. A tort, selon l’expert. Car la transition écologique peut être un formidable levier d’attractivité et contribuer à la performance économique”. Tout en étant fortement mobilisateur en interne. Un DRH averti…
Le dialogue social écologique encore balbutiant |
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Pour Michel Barabel, directeur de l’executive Master RH de Sciences Po et du master GRHM de l’IAE Paris-Est, l’accord national interprofessionnel (ANI) portant sur la transition écologique et le dialogue social, signé en avril 2023, a encore peu de traduction concrète. “Les partenaires sociaux doivent s’approprier progressivement le texte et monter en compétences sur ces sujets. Car la question environnementale, est, pour l’heure, uniquement appréhendée à travers le prisme de la sécurité au travail, notamment du travail sous de fortes chaleurs. Mais les thématiques comme les compétences vertes, la culture managériale, la création de valeur, sont peu abordées. On peut également regretter que cet ANI ne comporte aucune obligation nouvelle pour l’employeur puisque le sujet n’est pas normatif. Il ne donne ni moyens supplémentaires, ni crédits d’heures aux représentants du personnel. Même si plusieurs entreprises pionnières n’ont pas attendu cet accord pour prendre la mesure du problème et passer à l’acte”. |
Cet article provient du site Editions Législatives - ActuEL RH